L'étranger

L'étranger
Rodrigo Amarante

Épicerie Moderne

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Star au Brésil et troubadour effacé partout ailleurs, Rodrigo Amarante a vagabondé toute sa vie d'homme et de musicien avant de livrer "Cavalo". Un premier album solo de pop-folk carioca triste, lumineux et polyglotte, animé par l'atavique saudade brésilienne autant que par les diverses expériences musicales de ce précieux barbu de passage à l'Épicerie Moderne. Stéphane Duchêne

«Je suis l'étranger, et ça peut se voir» chante Rodrigo Amarante sur Mon nom, extrait en français de son très beau Cavalo. Rodrigo est en effet, depuis l'enfance, de ceux qui ont «été repiqués sans [leurs] racines». D'abord au gré des déplacements engendrés par le travail nomade de papa Amarante, entre Rio Sao Paulo et Fortaleza. Puis, plus tard, par ses propres voyages, mus par les envies d'ailleurs et d'insécurité de ce descendant d'Italiens, de Portugais et de Nigérians. En Californie notamment, où il part en 2006 comme pour prolonger, volontairement cette fois, les déracinements de l'enfance. Sans doute y a-t-il pour l'artiste dans l'adoption ou dans l'acception de la posture de l'étranger comme un carburant, une matière à frictions. Et puis sans doute devient-on vagabond à force de ne se sentir chez soi nulle part.


Car le pays d'Amarante n'a ni sol ni frontière, il ne se quitte ni ne vous lâche : c'est la saudade, sentiment indéfinissable propre à la lusophonie, à la fois mélancolie de la mélancolie et présence de l'absence, qu'un exilé vit forcément au carré. Exilé, Amarante l'est aussi musicalement, volontaire et plutôt deux fois qu'une. Jusqu'en 2005, il fut l'un des leaders de Los Hermanos (ne pas confondre avec le fast-food poulet/crystal meth de Breaking Bad), formation cultissime au Brésil (un millier de concerts, quatre disques d'or et de platine) qui mêlait influences pop, new-wave (Amarante a grandi aux sons des Smiths et des Cure) et bossa-nova, mais se sépara en pleine gloire. Fuir, toujours, y compris le succès. Qui rattrape Amarante.


D'abord avec le bien nommé Orquestra Imperial, big band traditionnel dont il partage les responsabilités avec un certain Moreno Veloso. Veloso, oui, comme Caetano, l'un des plus grands musiciens brésiliens de tous les temps, qui chanta lui aussi si bien l'exil, politique dans son cas. Puis avec Little Joy, aux côtés de Fab Moretti des Strokes, le temps d'un disque, ou avec un autre poster boy pour hipster : Devendra Banhart, sur l'album Smokey Rolls Down Thunder Canyon.


Plagiste


Aujourd'hui, Amarante, remarqué par ici pour sa reprise franco-lusophone de la Non demande en mariage de Brassens sur une compil' hommage, nous arrive avec un album solo sorti en avant-première en France, on ne sait trop pourquoi. Un disque qui est une sorte d'illustration positivement complaisante de la saudade et où sa bossa-folk figure la politesse d'un désespoir moelleux.


De fait, la musique de Rodrigo Amarante semble vouloir dilater le temps jusqu'à tenter de l'abolir. Faire l'éloge d'une lenteur qui irait jusqu'à l'arrêt pour privilégier la contemplation, l'introspection et le souvenir. Ne pas croire pour autant que le Carioca se vautre dans le minimalisme comme on se roulerait par snobisme dans des draps de soie, dans l'uniformité comme on s'abandonnerait à la paresse.


Cavalo
, condensé intime de tout ce qui a précédé, est riche d'écarts magnifiquement domptés, convoquant aussi bien la saturation et les rythmes pop façon indie-rockeur plagiste (Hourglass, sans doute le meilleur morceau des Strokes non signé par les Strokes), arrangements tout en délicatesse (Mon Nom), virées world-funk banhartiennes (Manà), nappes de synthé planeur ou piano plombé qui ne sont pas sans évoquer le Vincent Gallo musicien de When (The Ribbon, Cavalo) et choeurs quasi morriconniens (Tardei).


Tout cela sans bien sûr jamais trop s'écarter de la douceur mêlée d'infinie créativité brésilienne, comme sur le sublime I'm Ready, hérité de Vinicius Cantuaria (qu'on aura le plaisir de voir cet été à Vienne) pour les guitares et de Jobim pour les arrangements.


Irene


Car si Cavalo est imprégné de toutes les influences d'Amarante, nombreuses et néanmoins sublimement digérées, jamais claironnées, et s'il évoque aussi beaucoup l'album de Little Joy, il reste avant tout infiniment brésilien dans l'âme, jusqu'aux confins d'une sensualité qui est elle-même un voyage.


On y trouve par exemple une chanson, Irene, comme une réponse à celle, éponyme, que Caetono Veloso avait écrite lors de son exil londonien. Rodrigo aussi a connu son Irene, preuve que le destin peut avoir de troublantes largesses. Mais là où Veloso s'enivrait de la résonance d'éclats de rires, pour Amarante, il s'agit de se plonger dans le souvenir des traits de la femme perdue. Présence de l'absence, refus de l'oubli, qui serait un reniement, Irene comme visage éternel de la saudade, de cette vérité selon laquelle toute séparation est un exil, tout cœur brisé un étranger soumis au questionnaire baudelairien du poème du même nom et dont Rodrigo Amarante, de saudade en spleen, est la parfaite incarnation :


«- Ta patrie ? / - J'ignore sous quelle latitude elle est située / - La beauté ? / - Je l'aimerais volontiers, déesse et immortelle. / - L'or ? / - Je le hais comme vous haïssez Dieu. / - Eh ! qu'aimes-tu donc, extraordinaire étranger ? / - J'aime les nuages... les nuages qui passent... là-bas... là-bas... les merveilleux nuages !».

Rodrigo Amarante [+ Arianna Monteverdi & Baby B]
A l'Epicerie Moderne, mardi 27 mai
Cavalo (Rough Trade)

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