Quand un Américain, un Italien et une Française écrivent sur les guerres contemporaines, sur la guerre tout court, cette expérience indépassable, que disent-ils ? Au fond, sensiblement la même chose – mais d'une manière différente, en empruntant des chemins narratifs propres. Ils disent l'illusion selon laquelle la guerre est formatrice, sauve des vies, à commencer par celles de ceux qui ne savent pas quoi en faire, et fait Voir du pays, comme dans le roman de Delphine Coulin (Grasset, 2013). Ils disent la désillusion de découvrir qu'elle est vaine et absurde. Ils disent ces guet-apens du destin, que l'on prévoit toujours mais dans lesquels on se jette tête la première. Ils disent le traumatisme infini.
La guerre, Kevin Powers l'a faite en Irak, il y a dix ans. Il en est revenu transformé et écrivain. Son Yellow Birds (Stock, 2013) raconte la promesse de son "héros", Bartle, à la mère de son camarade Murph, avec lequel il est destiné à partir au combat, qui le hante toujours plus au fur et à mesure qu'il semble de moins en moins tenable. Powers décrit, dans des première pages éblouissantes, la guerre comme un corps vorace qui finit toujours par vous rattraper, par vous manger la tête et vous détruire le corps – avec Murph, elle fera les deux.
Paolo Giordano, déjà brillant auteur de La Solitude des nombres premiers, s'attache lui aussi à étudier dans Le Corps Humain (Seuil, 2013) l'impact de la guerre (ici d'Afghanistan) sur les corps, comment ils se transforment, se défont, se vident – voir cette épique épidémie de dysenterie, qui finit par venir à bout de toute notion de hiérarchie autre qu'intestinale – se dupent (l'alcool, les médicaments) et parfois se désintègrent dans un souffle.
Et puis il y a ce moment, chez Delphine Coulin, où il faut recoller corps et esprit, finalité du séjour de décompression à Chypre d'Aurore et Marine, deux amies d'enfance que la guerre a plus éloignées que rapprochées – désillusion encore. Même là, même finie, la guerre vire au cauchemar – on n'en dit pas plus – comme si les coutures trop longtemps contraintes des soldats craquaient toutes en même temps. Que le souvenir de la barbarie, subie ou donnée, avait besoin d'être recouvert d'une nouvelle couche de barbarie. Et la vie, désormais, de son shoot de survie à prendre par la force.
Stéphane Duchêne
Les jeunes romanciers face à la guerre
Avec Delphine Coulin, Kevin Powers et Paolo Giordano
Aux Subsistances, vendredi 23 mai à 19h30