Le fond et la forme

Mobb Deep + Dilated Peoples

Transbordeur

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

L'édition 2014 de L'Original achève ce dimanche de faire oublier sa faiblarde prédécesseur en recevant Mobb Deep, monument (un rien décrépi) du rap East Coast qui fête cette année le vingtième anniversaire du disque qui l'a révélé. Benjamin Mialot

Baltimore, un soir d'été. Adossé à un project à l'abandon, un petit black en t-shirt Ecko recèle des bars chocolatées. Arrive un client, qui demande en échange d'un généreux pourboire à ce qu'un message soit délivré à un authentique dealer posté plus loin : son ex lui donne rendez-vous à la nuit tombée sur l'aire de jeux du quartier. Le trafiquant de friandises s’exécute, sans savoir que tout ce qui attend son voisin de trottoir, ce sont les représailles d'un tout-puissant seigneur du crime, dont il a plus tôt abattu un fidèle par jalousie. Dans le fond résonne Survival of the Fittest de Mobb Deep.

La scène est tirée de The Wire, la fiction criminelle la plus crédible de l'histoire de la télévision, et le fait qu'elle soit rythmée par cet hymne à la loi de la jungle urbaine en dit long sur l'expertise en matière de misère sociale du duo. A l'époque de son enregistrement, ses membres étaient pourtant âgés d'à peine vingt ans. Mais ils en avaient déjà vu bien assez pour prétendre entrer dans la légende du storytelling au ras du bitume. «I'm nineteen but my mind is old» clament-ils ainsi sur Shook Ones, Pt. II, l'autre titre qui fit de leur deuxième album, The Infamous, un disque aussi culte que le Illmatic de leur homie Nas.

Retour à la case départ

Comme souvent dans le hip hop, tout est une question d'horizon. Celui de Kejuan "Havoc" Muchita et Albert "Prodigy" Johnson fut d'emblée barré par les tours de Queensbridge, l'un des quartiers les plus défavorisés de New York, dont ils entreprirent de faire trembler les fondations dès la sortie du lycée. Leur première tentative, le générique et caricatural Juvenile Hell (1993), les fera à peine frémir. La suivante sera donc la bonne, les deux camarades signant avec The Infamous l'un des disques les plus lugubres et vindicatifs d'un rap yankee pourtant en pleine résurgence. Y compris sur la forme, d'une sécheresse et d'une inventivité lo-fi si évocatrices que la moindre note de piano sonne comme une éjection de douille. Un an plus tard, le tout aussi explicite Hell on Earth – il cite le Tony Montana's Theme composé par Gorgio Moroder pour Scarface, c'est dire les fera définitivement accéder aux hautes sphères du hardcore.

La chute n'en sera que plus rude. Nonobstant de belles escapades en solitaire (en tête le Return of the Mac de Prodigy, sommet de classe blaxploitation produit par The Alchemist), les deux camarades enchaîneront à partir de là les disques de plus en plus consensuels (jusqu'au point de non retour Blood Money, publié en 2006 chez G-Unit, le label de 50 Cent) et les calamités médiatiques (notamment des beefs avec Tupac et Jay-Z qui tourneront à leur désavantage). Paru au printemps, le huitième album du duo prend acte de ce déclin : il est composé pour moitié de chutes de studio de The Infamous. Preuve, si besoin était, qu'on n'est pas près d'avoir fait le tour de ce ghetto classic.

Mobb Deep [+ Dilated People]
Au Transbordeur, dans le cadre de l'Original, dimanche 22 juin

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