Orphelin de son leader et chanteur Tim Smith, Midlake aurait pu exploser en vol. Au lieu de ça, le groupe Texan a fait comme d'habitude et opté pour la métamorphose, confirmant son statut de groupe le plus résilient et le plus déroutant du paysage pop. Stéphane Duchêne
Normalement, quand le leader d'un groupe quitte ses coéquipiers, l'édifice s'effondre et chacun part ramasser des fraises de son côté. Surtout quand le leader en question fait figure de démiurge au sein de sa formation, au point d'entraîner tout le monde par le fond lorsqu'il dévisse sur le plan personnel.
Mais on a aussi vu des exemples de groupes ayant fait mieux que survivre à la perte d'un organe vital devenu poids mort : Pink Floyd avec Syd Barrett, Depeche Mode avec Vince Clark, les Stones, bien sûr, avec Brian Jones... A chaque fois, on pensait le groupe perdu. A chaque fois, cela a été un mal pour un bien. A l'idée que Tim Smith puisse quitter Midlake, on n'aurait pas donné cher de la peau des Texans. Mais Smith s'était enfermé dans son perfectionnisme jusqu'à la névrose et à la nécrose. The Courage of Others était SON album et le lien avec le groupe était rompu. Lorsqu'il a été incapable d'assumer ses fonctions, personne n'a cherché à le retenir.
Nouveau départ
Son lieutenant Eric Pulido a simplement coulissé vers le leadership de Midlake et Midlake a fait corps, amorti collectivement le choc, en douceur, en incarnant ironiquement ce «courage des autres». Et c'est bien ce qui ressort de leur dernier album, Antiphon, compact et grandiose, mais sans véritables envolées. Et si le nouveau Midlake a su garder quelque chose de l'ancien, ce don pour la métamorphose dans la continuité. Ce pouvoir d'adaptation, ce sens du transformisme qui a souvent fait regarder et écouter son travail par le prisme du pastiche. La direction prise ici par Pulido est celle du psychédélisme progressif – disons Pink Floyd 67, drôle de clin d'oeil au destin quand on y pense.
Paradoxalement, là où Midlake avait souvent officié d'un album à l'autre sur le mode du saut de puce – du grandaddyesque Bamnan & Slivercork au soft-rock 70's The Trials of Van Occupanther puis au folko-médiéviste The Courage of Others – Antiphon est sans doute, de leurs quatre disques, celui qui est le plus proche du précédent : on y trouve de grands morceaux en forme de psaumes spectraux mais pas de tubes. La différence, c'est que Pulido semble vouloir davantage orienter les possibilités du groupe vers la scène, ce que Smith, par excès d'ambition discographique, échouait à faire – surtout vocalement. Comme un symbole, Antiphon était un sophiste, inventeur de ce qu'on tient pour l'ancêtre de la psychanalyse : une méthode pour guérir les blessures de l'âme. Boucle bouclée, nouveau départ.
Midlake
A L'Epicerie Moderne, mardi 1er juillet
Antiphon (Bella Union)