Le légendaire Apollo Theater de Harlem fête quatre-vingt ans d'une histoire aussi lumineuse que chaotique. Le festival Jazz à Vienne rend un hommage appuyé à ce lieu auquel chaque amateur de musiques noires doit beaucoup. Stéphane Duchêne.
«Apollo Theater : where stars are born and legends are made». Dans l'histoire de la soul, de la musique noire et même de la musique tout court, une "nuit à l'Apollo" vaut quasiment garantie d'entrer dans l'Histoire. Des concerts mythiques y ont eu lieu – dont l'inoubliable Live at The Apollo Theater enregistré un soir d'octobre 1962 par James Brown et ses Famous Flames. On y a croisé Nina Simone, les Big Band de Count Basie et Duke Ellington et tout, ou presque, ce que la soul compte de noms importants, vedettes ou futures étoiles.
Car le club situé au cœur de Harlem, sur la 125e rue, est aussi connu pour ses "Amateurs nights" du mercredi : Ella Fitzgerald, Billie Holiday, Marvin Gaye, Aretha Franklin, Stevie Wonder, The Jackson 5, Lauryn Hill, l'énumération des talents nés là-bas ne tiendrait pas dans une version ultra-rallongée de La Boîte de jazz de Michel Jonasz. L'Apollo est à ce point la Mecque des musiques noires, un quasi-lieu saint, qu'on y exposera comme une évidence la dépouille de James Brown en 2006, devant laquelle des milliers de fans viendront s'incliner.
Little Wonder
Si la soirée que consacre Jazz à Vienne à la salle sera l'occasion pour l'un des grands amoureux de soul music US, Ben l'Oncle Soul – pas forcément très goûté des puristes –, d'opérer un retour en grande pompe, on découvrira surtout en cette occasion et dans l'esprit de défrichage propre au temple new-yorkais le pianiste et organiste Matthew Whitaker. Jeune prodige non-voyant de quatorze ans, son parcours, ses coups du sort et sa précocité rappellent d'une manière plus que troublante la destinée du "Little Stevie Wonder" des débuts.
Et quoi de mieux, ensuite, que de confier les clés de la fête à un label qui perpétue l'esprit Apollo, en l'occurrence Daptone Records ? Lequel n'a qu'un défaut : il n'est pas né à Harlem mais à Brooklyn. Comme Charles Bradley, l'une de ses figures de proue. Le Grand Charles, révélé à soixante-deux ans (!), sera évidemment de la partie pour faire ses avances soul salaces à la foule. De même bien sûr, que la reine Sharon Jones, tardivement reconnue elle aussi. Avec ses Dap-Kings, cette survivante viendra non pas souffler les bougies de l'Apollo mais les embraser, comme un clin d'oeil aux Famous Flames de James Brown, un certain soir de 1962 sur la 125e rue.
Soul night at the Apollo
Matthew Whitaker + Ben L'Oncle Soul + Daptone Super Soul Revue (Sharon Jones & the Dap-Kings, Charles Bradley & his Extraordinaires, Antibalas...)
Au Théâtre antique de Vienne, samedi 5 juillet