Des paroles et des actes

Les Particules élémentaires

Célestins, théâtre de Lyon

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Ils sont jeunes, misent sur l’acteur et adaptent des textes peu théâtraux. Ils font pourtant bel et bien du théâtre, avec un engagement total, signant des spectacles remuants et intelligents. Balade dans une saison marquée du sceau de cette génération éprise de narration. Nadja Pobel

Raconter. Parfois de manière saccadée ou par le prisme de plusieurs personnages. Mais dire le monde avec force et rage. Voilà l'intention qui semble traverser la saison théâtrale 2014/2015, portée par une génération qui ne tutoie pas encore les quadragénaires, quand elle n'a tout simplement pas encore franchi la barre des trente ans.

Première pièce emblématique de ce constat : Les Particules élémentaires (aux Célestins en février). Houellebecq lui-même n’a pas quarante ans quand il écrit son deuxième roman, hybride à deux têtes où, à travers les vies de deux frères, l'une hippie, l'autre trop calibrée, se dessinent le désenchantement, l’annihilation du bonheur et l’avènement du clonage scientifique. Véritable gifle, sans concession avec son époque mais parcourue par un souffle romanesque évident, ce livre n’avait jamais été porté à la scène en France alors que nos voisins européens (et notamment les Allemands) s’en sont depuis longtemps délectés. Il a fallu attendre que Julien Gosselin sorte de l'école du Théâtre du Nord, à Lille, et que dès sa deuxième mise en scène, il prenne à bras le corps ce bouquin paru alors qu'il n’avait que onze ans. Avec ce spectacle créée l’an dernier dans le plus médiatique des festivals de théâtre, Avignon, en 3h40 et avec dix comédiens, Gosselin n’a pas fait les choses en catimini. Bonne idée. Car si des micros (outil bien partagé par cette génération) et quelques corps dénudés (mais comment peut-il en être autrement avec Houellebecq ?) émaillent la pièce, Gosselin, avec un usage malin de la vidéo, insuffle surtout de l’émotion à son adaptation, jusqu’aux larmes quand il se recentre sur un ou deux personnages. Et fait rejaillir la puissance de cette oeuvre qui contient toutes celles à venir de l’écrivain le plus cinématographique de la rentrée (voir page 14).

S’affranchir de la forme narrative théâtrale classique, voilà qui ne fait pas peur non plus à La Meute. Cette saison, ce collectif issu du Conservatoire de Lyon accède enfin à un grand plateau, là où il a pleinement sa place. Après avoir exploré Dostoïevski, le metteur en scène Thierry Jolivet et sa bande s’emparent du texte d’Angelica Liddell, Belgrade (aux Célestins en juin), auquel ils adjoignent des paroles de Cioran, Musset, Nietzsche, sans que l’on en décèle les coutures. Eux qui sont nés dans une Europe tout juste délestée du rideau de fer, donnent de la voix (via micro-HF) à un croque-mort, une journaliste, un apparatchik en autant de monologues indélébiles – et rythmés en live par Jean-Baptiste Cognet (la musique "in vivo" étant un autre dénominateur commun des artistes présentés ici).

 

Chuchoter

Emmanuel Meirieu, lui, a beau toujours être jeune, il n’est plus un débutant depuis longtemps. Pourtant, il file un théâtre qui, s’il est moins enragé qu’à ses débuts (Les Chimères amères, en 2000, déjà !), va au cœur de l’humanité de ses personnages déchirants. Lui aussi sonorise ses comédiens, les fait chanter, a capella, et continue à monter autre chose que du théâtre. Cette saison, il passera deux fois par Lyon, sa ville. Au théâtre de la Croix-Rousse d'abord, où justement il accéda à la grande scène à seulement vingt-quatre ans, il remonte Mon traître, passé furtivement au Radiant en janvier dernier. À l’issue d’un gros travail d’adaptation des romans jumeaux de Sorj Chalandon (Mon traître et Retour à Killybegs), Meirieu offre, comme La Meute, le point de vue de différents protagonistes sur un même événement politique : ici la guerre religieuse en Irlande, vue par le prisme du parcours tortueux et mensonger du leader charismatique de l’IRA, Denis Donaldson. Derrière un minimalisme apparent (espace de jeu restreint, peu d’action, beaucoup de récit…), se dévoile un travail d'orfèvre, tant sur la lumière et le son que sur la scénographie. Au centre du dispositif : la figure du comédien, pour que l’histoire soit au premier plan. C’est sans doute de cette trempe que sera Birdy (au Radiant le 7 avril), que Meirieu créera à Chateauvallon cet automne. Un spectacle une fois de plus totalement masculin, à la lisière du mélodrame (dans le bon sens du terme), et qui abordera les illusions perdues d’un homme abîmé : de retour de la guerre du Vietnam, Birdy rêve de pouvoir voler.

 

Affirmer

Le théâtre-récit sera aussi au cœur de Discours à la nation (à la Croix-Rousse en avril, et que nous n’avons pas encore pu voir). L’auteur, Ascanio Celestini, appartient même à un courant théâtral italien qui porte précisément ce nom, et s’inscrit dans les pas du prix Nobel Dario Fo. Très engagé politiquement (contre Berlusconi notamment) et fin observateur d'une société toujours plus stratifiée, Celestini a écrit ce texte spécialement pour le comédien belge David Murgia, vu l’an dernier dans Le Signal du promeneur, digression déglinguée mais pertinente sur l’Affaire Romand. Au milieu d’un décor volontairement cheap, fait de cagettes en bois, il sera question de s’adresser aux «camarades», d’évoquer la conscience de classe en constatant salutairement que les termes «dominant/dominé sont beaucoup plus jolis que bourreau/victime».

Moins directement orienté mais tout aussi inscrit dans une veine sociale, La Lune jaune (à la Mouche le 11 décembre) de l’Ecossais David Greig, mis en scène par Baptiste Guiton, assistant de Christian Schiaretti, déploie une forme plus onirique que les spectacles sus-cités, mais toujours très narrative, instaurant même une distance avec le spectateur par le biais d'une écriture à la troisième personne du singulier. Le propos sur ce XXIe siècle œuvrant pour un individualisme forcené n’en est pas moins acide, les personnages de Leila et Lee, deux ados que la vie a laissé sur le bas-côté, tentant de s’inventer un peu de douceur ensemble.

Autre spectacle qui promet de discuter sans tourner en rond : Du pain et des rolls, porté à la scène par la jeune Julie Duclos et qui rend là son titre original au film culte de Jean Eustache, La Maman et la putain, non sans se permettre de ré-écrire le texte avec le scénariste Guy-Patrick Sainderichin (crédité au générique du Père de mes enfants de Mia Hansen-Løve notamment).

 

Réitérer

Citons pour conclure deux jeunes qui pour leur part déboulonnent des écritures théâtrales classiques. C’est le cas du metteur en scène Laurent Brethome (impeccable directeur des jeunes du Conservatoire l’an dernier dans Massacre à Paris), qui s’attaque aux Fourberies de Scapin (à la Croix-Rousse en octobre, à Villefranche et au Toboggan en décembre) avec l’excellent Jérémy Lopez-de-la-Comédie-Française (et ancien du Conservatoire de Lyon et de l’ENSATT).

David Bobée, nonobstant une esthétique overgay et à des comédiens (et acrobates) survitaminés en costumes moulants et mouillés, a lui fait de Béatrice Dalle une Lucrèce Borgia plus vraie que nature cet été à Grignan (à voir à la Croix-Rousse en novembre). Il sera aussi en fin de saison aux Subsistances avec Mélo, une "Livraison d'été" (en juin) qui verra par ailleurs le jeune, talentueux et très bordeline collectif Les Chiens de Navarre faire avec Les Armoires normandes son retour en ce lieu qui l'a accompagné depuis le début de son aventure, bien avant qu'il ne triomphe l'an passé à Paris, au Théâtre du Rond Point.

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Mardi 4 janvier 2022 Après une première moitié de saison d’une densité inédite, les théâtres attaquent 2022 sans baisser de rythme. Les six mois à venir seront riches comme rarement de découvertes et de grandes figures pour se clore sur la venue d’Ariane Mnouchkine.
Mercredi 9 septembre 2020 Laurent Wauquiez est passé à deux doigts de se remettre l'ensemble du monde culturel à dos. Il est retombé lundi, à peu près, sur ses pattes. Mais comment a-t-il fait pour glisser ainsi sur une peau de banane, après des semaines de mesures...
Mardi 10 décembre 2019 À 32 ans, Thierry Jolivet s'apprête à monter sur scène Vie de Joseph Roulin, ce facteur et ami de Van Gogh dont l'écrivain Pierre Michon a fait œuvre. Autour de lui, des musiciens et des membres de leur Meute avec laquelle il avait éclaboussé le...
Mardi 11 juin 2019 Un festival est affaire de qualité de programmation. C'est essentiel mais cela ne suffit pas à en faire un passage incontournable. À Alba-la-Romaine, s'invente depuis onze ans un lieu délicieux où la qualité de l’accueil est égale à l'exigence des...
Mardi 9 janvier 2018 L’exposition Watching You au Musée d’Art Religieux de Fourvière invite le street art dans une ancienne chapelle du monument religieux le plus important de Lyon. Rencontre au sommet.
Mardi 17 octobre 2017 David Murgia. Il est des comédiens comme celui-ci que l'on suivrait n'importe où. Pour leur talent bien sûr, mais aussi parce qu'ils ont toujours quelque chose à nous dire de ce monde malade. Laïka en est une nouvelle preuve.
Mardi 3 octobre 2017 Le souffle du Printemps arabe n’a pas débarrassé les Tunisiens des oppressions, ni purgé certaines mentalités de ses réflexes archaïques. Réalisatrice du (...)
Mardi 29 août 2017 Vous connaissez tous Pec : c’est le créateur des Birdy Kids. Ces oiseaux ronds et colorés,  vous n’avez pas pu passer à côté. Mais ces gentils volatiles ne sont que la face émergée de l’iceberg.
Mardi 5 septembre 2017 Au vu des programmations hétéroclites (trop) touffues et qui confèrent aux différents théâtres des identités de plus en plus floues, émerge une vague de trentenaires qui, au travers de faits historiques, ou simplement d’histoires d’aujourd’hui,...
Mardi 20 juin 2017 Phoenix, Ibrahim Maalouf, Jamiroquai, Julien Doré, Two Door Cinema Club, Sting, Texas, Justice, Calypso Rose, Archive, Vianney, Juliette Armanet… Comme chaque année, Musilac aligne les grands noms quatre jours durant. Ce qui ne doit pas faire...
Mardi 10 janvier 2017 Il y a parfois des événements qui tiennent leurs promesses. La création de La Famille royale par La Meute est de ceux-ci. Un auteur vivant (!) et américain, les bas-fonds d'une société moisie — la nôtre —, du rock en live... sous les décombres, le...
Mardi 3 janvier 2017 Quelques grands noms du panthéon théâtral et de nombreux trentenaires au talent cru : voilà de quoi remplir la deuxième moitié de saison qui, espérons-le, sera plus nourrissante que la première.
Mercredi 2 mars 2016 Prenez quelques cageots, un acteur exceptionnel et Belge (David Murgia) et un auteur engagé et Italien (Ascanio Celestini) et vous voilà face à un (...)
Mercredi 18 novembre 2015 Dans "Profession du père", Sorj Chalandon donne le premier rôle à son paternel dément et montre à quel point celui-ci a irradié ses six précédents ouvrages. Et, revenant dans la ville de son enfance, Lyon, plonge dans ses racines avec drôlerie et...
Mardi 22 septembre 2015 Au commencement étaient deux bonnes idées : prolonger la présence du théâtre sur le site de Fourvière au-delà des Nuits estivales et donner vie à l'écriture (...)
Mardi 22 septembre 2015 Pour faire un point complet sur l'actu des dancefloors, il nous aurait fallu bloquer un bon tiers de ce dossier de rentrée. À vous, donc, de le compléter via vos canaux habituels. De toute façon, c'est bien simple : il y aura cette saison encore...
Mardi 8 septembre 2015 Si vous les avez raté, un rattrapage s’impose. D'abord Bigre! (Croix-Rousse, 29 septembre au 3 octobre), hilarante comédie sans (...)
Mardi 8 septembre 2015 Souvent taxé d’art vieillissant, le théâtre ne cesse pourtant, à l’instar des sociologues ou historiens, d’ausculter le monde contemporain. Cette saison, plusieurs auteurs décryptant la trivialité des rapports sociaux seront portés au plateau. Nadja...
Mercredi 24 juin 2015 Dans la forêt lointaine, on entend le hibou, d'accord. Mais dans le Forez lointain, qu'entend-on ? Cette année, principalement le Birdy Nam Nam, drôle (...)

Suivez la guide !

Clubbing, expos, cinéma, humour, théâtre, danse, littérature, fripes, famille… abonne toi pour recevoir une fois par semaine les conseils sorties de la rédac’ !

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X