La mémoire a quelque chose du ressac marin, qui vient se rabattre obstinément sur le rivage du présent comme pour le ravaler. Cette "mémoire obstinée" avec laquelle il nous faut composer le présent, hantera à la Villa Gillet une rencontre autour de trois romans de la rentrée littéraires que cette question agite : "L'Oubli" de Frederika Amelia Finkelstein, "Pas Pleurer" de Lydie Salvayre et "Le Dernier Gardien d'Ellis Island" de Gaëlle Josse. Stéphane Duchêne
«C'est une inexplicable nécessité qui me contraint à me pencher sur un passé que j'ai cru pouvoir oublier. En vain». Sous la plume de Gaëlle Josse, c'est Le Dernier Gardien d'Ellis Island qui parle. Nous sommes en 1954 et la porte d'entrée de l'Amérique va fermer, mettant John Mitchell à la retraite. La voilà, la grande affaire avec le passé : on le croit enfermé à double tour dans des malles, enterré, disparu, loin derrière et il suffirait de ne pas se retourner sur lui pour n'être pas changés tels la femme de Loth, en statut de sel. Oublier, c'est ce que souhaiterait Alma, la narratrice de L'Oubli de Frederika Amalia Finkelstein, à propos de la Shoah. Elle ne l'a pourtant pas vécue, a la vingtaine, écoute Daft Punk en boucle, One More Time, se perd dans les jeux vidéos autant que dans ses pensées et pourtant, les fantômes de la Shoah sans cesse l'assaillent.
Intimation
C'est cette obsession qui a poussé cette dernière, comme elle nous l'a confié (voir ci-dessous), à écrire L'Oubli, son premier roman, belle tentative de terrasser un paradoxe et d'ordonner la mémoire quand, et parce que, celle-ci l'exigeait. Car vient un moment où la mémoire, ces «souvenirs, bien encombrants», dixit John Mitchell, fussent-ils ceux des autres, deviennent exigeants pour ne pas dire plus. Dans Pas Pleurer, Lydie Salvayre ne dit pas autre chose, qui ravive les souvenirs de sa mère rendue amnésique par le grand âge, sauf en ce qui concerne les événements de 1936 quand, à quinze ans, elle découvrit l'Amour, l'utopie révolutionnaire, et ce que la réalité peut cruellement en faire. Elle écrit : «Je n'avais jamais eu, jusqu'ici, le désir de me rouler (littérairement) dans les ressouvenirs maternels de la guerre civile (...). Mais j'ai le sentiment que l'heure est venue pour moi de tirer de l'ombre ces événements d'Espagne que j'avais relégués dans un coin de ma tête pour mieux me dérober sans doute aux questionnements qu'ils risquaient de lever. (...) Jamais depuis que j'écris, je n'avais ressenti une telle intimation». Comme si au fond la littérature pouvait s'investir d'un pouvoir spirite que John Mitchell/Gaëlle Josse résument ainsi : « Les ombres de mon existence (...) ne seront en paix qu'une fois leur histoire racontée».
La Mémoire obstinée
Rencontre avec Frederika Amalia Finkelstein, Gaëlle Josse et Lydie Salvayre
A la Villa Gillet, mercredi 8 octobre