Johnny Got His Gun : tranchées vif

C’est un classique et un OVNI, comme peuvent l’être La Nuit du chasseur ou Les Tueurs de la lune de miel, le chef-d’œuvre unique d’un cinéaste dont ce n’était pas le métier. Dalton Trumbo était scénariste et écrivain, et il adaptait avec Johnny Got His Gun en 1971 son propre roman, racontant comment un soldat pendant la Première Guerre mondiale revient des tranchées dans un état physique extrême, le visage arraché par un obus, sourd et aveugle, les jambes et les bras mutilés.

Que reste-t-il de ce pauvre Johnny sur son lit d’hôpital ? Une conscience, que l’on entend en voix-off, et des souvenirs, que Trumbo reconstitue en couleurs, tranchant avec le noir et blanc plus noir que blanc des scènes au présent. Bien entendu, il s’agit de dénoncer de façon viscérale l’absurdité et les horreurs de la guerre ; mais Johnny Got His Gun n’est pas un pamphlet pacifiste, plutôt un poème humaniste célébrant la puissance de l’esprit, capable de s’élever au-delà de la matérialité corporelle.

Parfois insoutenable — les cris intérieurs de Johnny, protestant pour qu’on lui laisse ses jambes — parfois miraculeux — quand le même, sentant un rayon de lumière réchauffer le trou qui lui sert de visage, s’exclame «J’ai trouvé le soleil !» — le film s’autorise des percées vers l’imaginaire mémorables, comme cette évocation d’un lac où gisent dans ses profondeurs des dizaines de squelettes, ou ce Christ si humain incarné par Donald Sutherland. L’enfance mythifiée, la jeunesse et ses émois brisés par la guerre, la résurrection spirituelle qui conduit vers une mort apaisée : les élans de Johnny Got His Gun sont universels, bouleversants, intemporels.

Christophe Chabert

Johnny Got His Gun
De Dalton Trumbo (1971, ÉU, 1h51) avec Timothy Bottoms, Kathy Fields, Jason Robards…
Dans les salles du GRAC jusqu’au 1er décembre

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