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Peter Gabriel refait le grand So

Peter Gabriel

Halle Tony Garnier

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

A l'occasion de la tournée anniversaire de son album "So", l'insaisissable Peter Gabriel opère un voyage dans le temps vers les grands moments de sa discographie. Une discographie touffue, pleine de chausse-trappes, de réussites et d'égarements, d'avant-garde et de mainstream. Bref, pleine de ces masques que l'ancien chanteur de Genesis a toujours aimé porter pour mieux se mettre à nu. Stéphane Duchêne.

«Je deviens une autre personne quand je suis sur scène. C'est comme un masque. Pour nous, le masque sert à se cacher. Mais dans de nombreuses cultures, il est un instrument par lequel on peut être libéré. Une partie de moi est naturellement timide et manque d'assurance. Le masque permet d'ouvrir et laisser s'exprimer des parties de soi normalement cachées». Cette confession aurait pu être celle du Peter Gabriel qui, de la fin de 1968 à 1975, fut la drôle de tête gondole de Genesis. Lequel montait sur scène habillé en fleur, grimé en vieillard, portant masque de renard ou heaume phosphorescent de chevalier sélénique pour donner vie à ce mélange d'expérimentations et de comptines cosmiques qui constituait alors l'oeuvre du groupe. Grand Manitou fêlé de ce quartet issu de la bonne bourgeoisie anglaise, il fut ainsi le premier, avant Bowie et ses suiveurs – et à peu près en même temps qu'Alice Cooper de l'autre côté de l'Atlantique – à faire entrer une forme de théâtralité dans le rock et le rock dans une infernale nuit des masques que le punk se chargerait de faire tomber – encore que.

Or, les phrases prononcées ici le sont en ouverture du DVD live Back to Front, relatif à la tournée que Peter Gabriel consacre depuis deux ans au quart de siècle de son album solo phare, So. Preuve que ce qu'il faut entendre de ces mots, c'est bien que l'homme de Bath continue aujourd'hui encore, et à vrai dire n'a jamais cessé, de porter des masques. Et que le terme clé de cette confession est bien le mot «libéré». Si l'on considère que l'art est un affranchissement – ce qui revient ni plus ni moins à enfoncer une porte ouverte – alors celui de Peter Gabriel n'aura été que cela, une succession de poses de masques pour se libérer de lui-même, mais aussi des carcans qu'une carrière aurait pu vouloir lui imposer.

World sampler

C'est en pleine gloire, en 1975, que Gabriel quitte Genesis – il finira poliment la tournée démente de The Lamb Lies down on Broadway. Les dissensions sont bel et bien là mais pas essentielles dans sa décision. S'il laisse les clés à Collins & Cie, c'est pour aller explorer plus avant ses envies de défrichage artistique. Cela peut sembler éminemment contradictoire, quand on sait qu'avec Genesis peu lui était interdit, mais le "groupe" est aussi quelque chose dont il faut se détacher. Peter libéré, il produit coup sur coup quatre albums qui, comme un symbole, portent tous pour seul titre le nom de leur auteur. Sur la pochette de chacun d'eux, le chanteur porte d'une certaine manière un masque qui permettra aux fans, à la presse et au temps de les identifier sous les noms de Car, Scratch, Melt et Security.

Si Car (1977) porte encore l'empreinte du rock progressif à l'oeuvre chez Genesis, il délivre déjà, avec Solsbury Hill, récit de son départ de Genesis, quelques indices de la pop plus mainstream à laquelle Gabriel va se livrer par la suite. On y retrouve Robert Fripp de King Crimson à la guitare et... au banjo. C'est aussi ce dernier qui produit Scratch (1978) en usant de ses techniques fétiches d'ayatollah de studio. Lesquelles eurent,  pour certains détracteurs, surtout pour effet de massacrer le mix d'un album très tourné vers l'expérimentation new wave ; pour d'autres de lui conférer au contraire toute son originalité – le débat fait encore rage chez de rares testeurs de chaînes hi-fi.

La découverte du sampler va alors constituer une révolution pour PG à l'occasion de Melt (1980)où l'on retrouve Biko et Games Without Frontiers. Il faut voir le reportage qu'avaient réalisé à l'époque Les Enfants du rock chez Peter Gabriel, le filmant fracassant des télés pour synthétiser des sons à utiliser. Une révolution qu'en suivra immédiatement une autre : la découverte de ce que l'on appellera, pour aller vite, la world music, qui accouchera de Security (1982). Pour Gabriel, ces musiques anciennes que personne n'écoute faute d'y avoir accès sont, avec la technologie, l'avenir de la musique.

Sampler cette world music, l'intégrer à la sienne, multiplier les collaborations avec des génies du doudouk (exemple non contractuel) modifieront durablement sa manière de composer. En l'espace de quelques années, Peter Gabriel fonde alors le festival Womad (World of Music Arts & Dance) qui essaimera ensuite à travers le monde, puis le label et les studios Real World, dans lesquels il investit une bonne partie de ses royalties. Il découvre et surtout fait découvrir au monde Youssou N'dour, Geoffrey Oryema, Nusrat Fateh Ali Khan, Papa Wemba et des dizaines d'autres. Quand au même moment survient l'apogée de sa carrière avec l'album So, propulsé par le hit mondial Sledgehammer, qui lui ouvre les portes des stades et des grands medias grâce à un clip animé en stop motion qui constituera l'une des grandes avancées de l'ère MTV.

La Passion selon Gabriel

Reste que ce succès, Gabriel ne s'en sert pour ainsi dire que pour la bonne cause : des concerts dantesques toujours plus imaginatifs où il peut être le vrai lui, c'est-à-dire quelqu'un d'autre ; pour porter la bonne parole en faveur de nombreuses causes qu'il multipliera mais n'abandonnera jamais – au point de devenir l'un de ces grands sages un peu ennuyeux dont grouille le rock – et toujours pour continuer à défricher le terrain musical. Alors qu'il pourrait capitaliser sur son succès personnel et enfoncer le clou avec un So II, le chanteur s'amuse beaucoup à expérimenter sur des BO de films. Celle du Birdy d'Alan Parker avait précédé So, mais on retiendra surtout Passion (1989), sublime accompagnement musical des tourments messianiques de La Dernière Tentation du Christ de Martin Scorsese, enregistré au quatre coins du monde et agencé aux studios Real World avec L. Shankar, Nusrat Fateh Ali Khan, Youssou N'dour... Nommé aux Golden Globes et lauréat d'un Grammy, cet album fera date en matière de fusion entre musique traditionnelle et technologie – et, probablement, ambiancera de nombreuses séances de relaxation.

Mais à la passion du Christ succède sur disque celle de Gabriel lui-même. Près de six ans se sont écoulés depuis So, et son successeur Us tombe le masque, le chanteur y détaillant par le menu, entre tubes imparables (Steam, Digging in the Dirt) et confessions poignantes, sa rupture d'avec Rosanna Arquette et ses conséquences (analyse sans fin, brouille avec sa fille). C'est sans conteste le dernier grand album de Peter Gabriel et, comme celle de So, la tournée qui s'ensuit, baptisée Secret World, est grandiose. Toujours soucieux de ne pas donner suite, Gabriel passe alors d'un projet expérimental à l'autre : composition de la musique pour l'inauguration du Millenium Dome de Londres (OVO) ; nouvelles participations à des BO (dont l'une donnera l'album Long Walk Home, 2002) ; et projets concepts collaboratifs ou personnels en tout genre malheureusement souvent ratés, à l'instar d'un album de versions symphoniques de ses plus grands morceaux (New Blood) et du serpent de mer Scratch my Back... and I'll Scratch yours. Il s'agit ici pour Gabriel d'un exercice de reprise de ses morceaux préférés de Paul Simon, Bon Iver, David Bowie... afin que ceux-ci lui rendent la pareille. Problème : Scratch my Back... (2010) est bizarrement très décevant et le deuxième volet du projet mettra plusieurs années à voir le jour faute de répondant de la part de ses collègues – même s'il est autrement plus réussi.

Au milieu de tout cela, l'album Up (2002) quelque part successeur de So et Us, passe pratiquement inaperçu et s'avère hautement dispensable. A force de vouloir brouiller les pistes et n'en faire qu'à ses têtes, on a bien souvent perdu Peter Gabriel. Et c'est sans doute pourquoi on le retrouve avec un tel plaisir. Or s'il est un lieu où on peut le retrouver, immuable ou quasi, malgré ce corps de bonze que les années ont sculpté à l'ex-grand échalas au crâne semi-tondu, c'est bien sur scène. Là où les fastes qu'il enfile, fut-ce symboliquement, continuent de le révéler. Comme il le dit lui-même en conclusion de la phrase qui ouvre cet article : «La scène est mon masque».

Peter Gabriel
A la Halle Tony Garnier mercredi 26 novembre

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