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Phoenix

Phoenix
De Christian Petzold (All, 1h38) avec Nina Hoss, Ronald Zehrfeld...

Après "Barbara", Christian Petzold et son actrice Nina Hoss explorent de nouveau l’histoire allemande — ici, le retour des camps — mais sur un mode labyrinthique et hitchcockien. Un très grand film sur l’identité et l’inexprimable. Christophe Chabert

Fidèle au précepte d’un Claude Lanzman, Christian Petzold ouvre Phœnix sur ce que l’on ne peut pas montrer : l’horreur des camps de concentration nazis. Il le fait à travers le visage d’une rescapée, Nelly, recouvert par des bandelettes tel Rock Hudson dans Seconds. Défigurée, quasi-mutique, elle est prise en charge par Lene, qui veut lui offrir un nouveau visage et une nouvelle vie, dans une Palestine qui ne s’appelle pas encore l’État d’Israël. Mais, l’opération réussie, Nelly ne se reconnaît pas et se voit comme une autre. On ne saura jamais si cette sensation de dédoublement est une conséquence psychologique du martyre qu’elle a subi — provoquant une cassure irrémédiable entre son moi d’avant et ce qu’il en reste aujourd’hui — ou si, effectivement, elle relève d’une vraie transformation physique.

Ce trouble-là, que Petzold entretient magistralement, le film le redouble encore quand Nelly retrouve son mari Johnny, ancien pianiste désormais homme à tout faire dans un cabaret au milieu des ruines berlinoises. Johnny est redevenu Johannes et, quand il croise Nelly, ce n’est pas sa femme qu’il voit, mais son sosie. Là encore, l’ambiguïté est à son comble : est-il impensable pour lui que son épouse ait pu survivre ou vit-il sincèrement une «méprise», pour reprendre le titre d’un roman de Nabokov auquel on pense souvent face à Phoenix — même climat flottant, presque abstrait, même inquiétude flirtant avec la métaphysique ?

Je est un autre

Comme dans son précédent Barbara, Petzold choisit une mise en scène classique, précise, sans effet ostentatoire, et témoigne une confiance totale en son actrice, la géniale Nina Hoss. Son interprétation de Nelly est renversante, d’autant plus qu’elle repose plus sur des non-dits que sur des dialogues, assez rares. Tandis que Johnny tente de la faire ressembler à la Nelly d’avant, elle ne cesse de lui fournir des indices pour lui prouver qu’elle n’est pas son double, mais bien elle-même. Et, à chaque échec, c’est la même expression de confusion qui la traverse, comme si à son tour elle doutait de sa propre existence.

On voit alors où ce film vertigineux, à l’intensité hitchcockienne — on pense bien sûr à Vertigo, mais pas seulement — conduit le spectateur : à éprouver l’inexprimable, mais aussi à comprendre comment on peut en venir à occulter le passé le plus noir et le plus dérangeant, amnésie personnelle pour continuer à vivre ou collective pour préserver un pays en lambeaux.

Phoenix
De Christian Petzold (All, 1h38) avec Nina Hoss, Ronald Zehrfeld…

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