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Quand on arrive en livre !

Berlinale 2015, jour 5. Deux visions du Chili…

« El Club » de Pablo Larraín. « The pearl button » de Patricio Guzman. « Mr Holmes » de Bill Condon. « As we were dreaming » d’Andreas Dresen.

Quelle édition de la Berlinale ! Pas encore remis du choc Malick hier, on a été cueilli dès le matin par le nouveau film de Pablo Larraín, El Club. On était curieux de savoir comment le cinéaste chilien allait négocier l’après No, et ce pour deux raisons. La première, c’est qu’il avait annoncé que celui-ci bouclait sa trilogie sur les années Pinochet, et donc qu’il allait nécessairement passer à autre chose ; la seconde, c’est qu’après deux films forts mais encore un peu rigides et dogmatiques dans leur forme, Larraín avait fait un pas de géant avec No où il proposait un récit prenant servi par une mise en scène qui, malgré son caractère expérimental, ne créait aucune barrière entre le spectateur et ce qu’il y avait sur l’écran.

El Club relève ce double tournant avec un brio que l’on n’attendait pas à ce degré d’excellence, ce qui suffit à faire de Pablo Larraín un des cinéastes les plus intéressants en activité, de ceux que l’on va suivre avec impatience dans les années à venir. El Club a donc parfaitement digéré les leçons apprises avec No : le film capte dès ses premières séquences, pourtant encore énigmatiques, où quelques seniors sur une plage entraînent un lévrier pour battre des records de vitesse. On ne sait pour l’instant rien d’eux, mais Larraín sait créer un climat de mystère autour d’eux. En fait, ces papys sympathiques sont en fait des prêtres défroqués et ce que l’on prenait pour leur tranquille maison de retraite au bord de la mer est en fait une sorte de prison, l’Église les ayant envoyés ici pour leur faire expier leurs fautes mais surtout pour se protéger elle-même de scandales potentiels. Or, lorsqu’un nouvel arrivant débarque, les secrets enfouis vont ressurgir à la surface et il faudra l’intervention d’un prêtre chargé d’étouffer l’affaire pour tenter de maintenir le couvert vissé sur la marmite et imposer les règles de la «nouvelle église», celle du Pape François.

Larraín a une dextérité sidérante pour faire avancer son récit, passant d’un humour assez noir à une charge gonflée contre les pratiques des institutions catholiques, levant le voile sur les pratiques pédophiles des prêtres avec une crudité salvatrice. Formidablement écrit, El Club devient carrément impressionnant quand le cinéaste s’engage dans un climax à couper le souffle, où il multiplie les narrations parallèles avant de les faire converger vers un pic de violence dans un crescendo de suspense impeccablement réglé. C’est du grand art, mais le film n’attend pas ce morceau de bravoure pour être passionnant.

Ainsi, chaque pensionnaire acquiert, au fil du récit, une profondeur et une complexité qui apportent une nuance nécessaire au réquisitoire anticlérical que Larraín a choisi de délivrer. Les motifs qui les ont conduits à se retrouver astreints à cette résidence particulière tombent tous sous le coup de la loi, mais parfois on ne sait trop ce qui est pire : être jugé par la loi des hommes, qui émet un verdict pondéré et populaire, ou par la loi de l’Église, qui les condamne sans procès à la honte à perpétuité. Pire, cet enterrement par le Vatican des égarements de ses représentants va à l’encontre d’une marche de l’Histoire qui oblige à traduire devant des tribunaux, par devoir de mémoire, ceux qui ont participé à des atrocités — le spectre du régime Pinochet n’est jamais loin chez Larraín. Enfin, ils ont pu entre temps méditer l’ampleur de leur crime, et trouver dans cette aliénation une forme de repentance — mais Larraín montrera aussi que celle-ci ne peut se faire qu’à partir du moment où elle prend aussi en compte les victimes.

Au moment où on finit par trouver ces prêtres attachants — les acteurs, tous excellents, n’y sont pas pour rien —, et par prendre en grippe celui qui les "harcèle", Larraín fait à nouveau basculer les perspectives et révèle que le groupe («le club» selon le titre) peut réveiller ses instincts grégaires et faire ressortir un appétit de punition bien peu chrétien. À moins que, là encore, les fantômes du passé chilien ne guident leurs actes les plus répréhensibles.

Tout cela, Larraín le filme en scope, en courtes focales avec une steadycam qui balaie sans cesse l’espace et un montage millimétré, soit une maîtrise souveraine et définitivement débarrassée de tout dogmatisme. El Club est un film aussi séduisant que rugueux, aussi enthousiasmant que dérangeant, un plaisir de cinéma comme on n’en prend pas souvent mais qui ne se limite pas à la simple projection. Les questions posées par Larraín demeurent, et c’est le signe d’un sacré cinéaste — qui met un grand coup de boule dans le sacré.

Guzman et les grands fonds de la mémoire chilienne

Un autre cinéaste chilien est entré, avec moins de brio, dans la compétition berlinoise : Patricio Guzman avec El boton de nacar. Le film s’ouvre sur un bloc de quartz dans lequel se trouve emprisonnée une goutte d’eau, et par la voix-off de Guzman lui-même qui se met à raconter l’importance de l’eau pour la vie, mettant les choses en perspective avec le cosmos et la préhistoire de l’humanité. Le ton de ce commentaire a quelque chose de lénifiant, et l’alliance entre images de planètes ou de la terre vue du ciel avec ce petit cours très didactique donne le sentiment d’assister à un croisement entre Yann Arthus Bertrand et une pub pour Volvic. Pendant trente minutes, le film avance sur ce mode, et on se demande vraiment si Guzman n’est pas tombé dans un bain new age particulièrement puissant…

Heureusement, le film finit par trouver son sujet lorsqu’il aborde la question des Indiens chiliens, massacrés par les conquistadors venus de l’océan, puis celle des exactions perpétrées par Pinochet, dont les sbires n’ont pas hésité à se débarrasser des corps des opposants en les lestant avec des rails de train avant de les jeter dans les profondeurs océaniques. En allant filmer les derniers descendants des natifs chiliens — une poignée à peine, en les laissant parler leur langue et en leur offrant d’occuper le cadre dans des gros plans parfois bouleversants, Guzman adopte une démarche presque lanzmanienne. Et quand il reconstitue méticuleusement le labeur consistant à préparer les cadavres avant de les envoyer dans l’oubli des grands fonds, c’est bien sûr la mémoire des traumas chiliens qu’il fait ressurgir.

El boton de nacar est alors assez beau, même si il ne dépasse guère le niveau d’un bon documentaire télé. Une jeunesse allemande, vu au panorama, était beaucoup plus cinématographique que le travail de Guzman, mais il avait un sujet moins calibré pour rallier les suffrages du prix des droits de l’homme, une récompense qui, même si elle n’existe pas officiellement dans les festivals, paraît toujours l’horizon majeur de certains cinéastes. Au vu des étoiles dans Screen international, Guzman a de fortes chances de le remporter !

Sherlock à l’hospice

Notre billet d’hier, entièrement consacré au génial Knight of cups, nous a obligé à laisser de côté quelques films il est vrai parfaitement inutiles, à commencer par Mr Holmes de Bill Condon, présenté hors compétition — encore heureux ! et d’une affligeante nullité. Le pitch était pourtant riche de promesses : un Sherlock Holmes vieillissant, séparé de son acolyte Watson, passe ses derniers jours dans la campagne anglaise en compagnie d’une femme de chambre et de son petit garçon, qui se verrait bien prendre la relève du mythique détective. On devine le potentiel mélancolique et réflexif d’un tel argument, et le fait que Ian MacKellen ait endossé les habits de Holmes laissait penser que l’affaire pouvait être sérieuse. Et puis rien du tout.

Mr Holmes est un pur film pour seniors, dont l’intrigue, aussi palpitante qu’un épisode de Derrick, consiste à savoir qui tue les abeilles fétiches du détective. Ce qui donne des promenades à deux à l’heure dans le jardin, des leçons d’apiculture, le tout entrecoupé de flashbacks où Holmes va rencontrer un Japonais dont le père était obsédé par la figure de Sherlock Holmes au point de délaisser son rejeton, et sur sa dernière enquête, où il cherche une femme qui en fait a fui son mari pour se réfugier dans la solitude. Waouh !

Baigné dans un blabla vaguement ironique, nimbé d’une musique envahissante pourtant signée Carter Burwell, le film ne cherche qu’à accumuler les chromos. Toutes les bonnes idées — comment Holmes prend la plume pour écrire la réalité derrière la légende mais se résout finalement à faire œuvre de fiction, comment il s’adapte à un monde qui se relève à peine de la deuxième guerre mondiale et de la bombe atomique sur Hiroshima — ne sont jamais vraiment exploitées, noyées dans la léthargie générale. Un gros navet, donc, mais pouvait-il en être autrement avec derrière la caméra le réalisateur des pires épisodes de Twilight ?

Il aurait dû être une fois en Allemagne de l'Est

Pour terminer ce billet, un mot rapide d’As we were dreaming d’Andreas Dresen, présenté lui en compétition. C’est, avec Nobody wants the night, le film le plus faible que l’on ait vu concourir pour l’ours d’or cette année, et sa présence tient sans doute au besoin de chaque festival de nourrir son line up par des produits locaux qui provoquent sans doute la fierté nationale, mais aussi le ricanement goguenard de la presse internationale. Nous Français faisons la même chose à Cannes, en y envoyant des premiers films sans envergure ou des machins auteuristes imbitables…

Les Allemands ne sont donc pas en reste, et cette adaptation anémique d’un best-seller inconnu par chez nous par un cinéaste qui n’a manifestement pas les moyens artistiques de ses ambitions est d’un ridicule achevé. En racontant comment une bande de gamins ayant grandi dans le Leipzig socialiste de ce qui était encore la RDA se retrouvent, à la post-adolescence, dans un nouveau monde ouvert par la chute du mur et l’effondrement de l’URSS, il avait entre les mains un matériau romanesque façon Il était une fois en Allemagne de l’Est, avec petits gangsters, trahisons et amours contrariés. Mais le film est tellement mal écrit et si plat dans sa mise en scène — rien ne vient véritablement arrêter le regard du spectateur, tant tout est pensé comme une pure réalisation du scénario, lui-même digest du bouquin d’origine — qu’il ressemble plutôt à une saga télé compressée en deux heures et dont on aurait oublié de virer quelques passages violents — par contre, niveau sexualité, le film est incroyablement timoré, voir puritain.

Aucun souffle, ni romanesque, ni historique — les pratiques socialistes résumées à un entraînement au collège en cas de bombardement, c’est un peu court — ne traverse le film, qui souffre aussi de personnages particulièrement mal définis, au point qu’on finit par se demander si leur bêtise est une donnée volontaire du script ou simplement un dommage collatéral de sa médiocrité. De plus, As we were dreaming effectue sans arrêt des allers-retours absurdes entre passé et présent, et choisit de chapitrer chacune de ses séquences sans raison valable sinon celle de laisser carte blanche à un infographiste féru de typographie. Cet élément participe du jeunisme affiché par Dresen, c’est-à-dire cette façon de singer la jeunesse plutôt que de se mettre à son niveau ou d’assumer le fait de la regarder de son point de vue d'adulte. Distance fatale pour un film qui devrait quand même avoir du mal à traverser les frontières — malgré sa coproduction française, pas très rassurante au moment où un traité de coproduction vient d''être signé entre les deux pays…

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