Martin Scorsese : un Prix Lumière en majesté

Immense cinéphile et cinéaste majeur, Martin Scorsese avait depuis le début le profil d’un prix Lumière parfait. Son sacre aura lieu au cours de l’édition 2015 du festival Lumière, dont la programmation, même incomplète, est déjà enthousiasmante. Christophe Chabert

Plus encore que Quentin Tarantino, qui est un peu son héritier débraillé et furieux, Martin Scorsese avait depuis la création du festival Lumière la stature parfaite pour recevoir un Prix Lumière. D’abord parce que son apport au cinéma est considérable ; ensuite parce que sa passion pour la conservation et la redécouverte des films est au diapason de la mission que se sont fixée Thierry Frémaux, l’Institut Lumière et le festival : célébrer le patrimoine cinématographique comme une histoire vivante qu’on se doit de conserver et de diffuser aux générations nouvelles.

Il aura donc fallu attendre sept années où Scorsese n’a pas chômé — quasiment un film par an, et quels films ! pour qu’il vienne recevoir à Lyon le précieux trophée qui ira grossir sa collection déjà bien chargée — Palme d’or cannoise pour Taxi Driver, Oscar du meilleur réalisateur pour Les Infiltrés… Ce sera de plus l’occasion unique de revoir son œuvre, dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle raconte le cinéma américain contemporain mieux qu’aucune autre.

Violence et passions

Débutée dans le sillage de son ami John Cassavetes (Who’s That Knocking at My Door) avant un crochet par l’écurie Roger Corman (Bertha Boxcar) elle trouve sa voie avec le terrassant Mean Streets, où il s’affirme comme le cinéaste des rues de New York, de ses petits gangsters et du conflit qui s’instaure entre la faute et le pardon, entre la violence et le salut.

Thème qu’il prolonge ensuite via sa collaboration au long cours avec Robert De Niro : qu’il joue les chauffeurs de taxi investi d’une mission à l’héroïsme idéologiquement trouble (Taxi Driver), un boxeur victime de son orgueil, de sa jalousie et de ses pulsions (Raging Bull), un apprenti comique cherchant par tous les moyens à obtenir son quart d’heure de célébrité (La Valse des pantins), un boss discret mais impitoyable du crime organisé (Les Affranchis), un repris de justice décidé à se venger de son avocat corrompu (Les Nerfs à vif) ou encore un maniaque du contrôle qui pense pouvoir gérer sa vie comme on gère un casino de Las Vegas (Casino), l’acteur a été le vecteur des plus grandes réussites du Scorsese première période.

Période où son style, avec sa caméra frénétique, son goût du rock’n’roll et ses spectaculaires flambées de violence, bouscule le cinéma hollywoodien par sa liberté de ton et de formes, fruit d’un héritage cinéphile monstrueux et parfaitement digéré. Car Scorsese sait qui sont ses maîtres — comme il le montre dans ses deux «voyages» cinéphiles, documentaires essentiels où il se promène à travers le cinéma américain puis le cinéma italien : Michael Powell, dont l’épouse Thelma Schoonmaker deviendra sa monteuse attitrée, la Nouvelle Vague française, le néo-réalisme italien mais aussi les classiques américains (Ford, Hitchcock, Welles, Fuller, Preminger)…

C’est ce goût juvénile et insatiable du cinéma qui lui a sans doute permis de se réinventer aux tournants des années 2000 : malgré l’échec de Gangs of New York, il trouve une nouvelle jeunesse au contact de Leonardo Di Caprio, avec qui il a déjà tourné quatre autres films, et pas des moindres : Aviator, Les Infiltrés, Shutter Island et Le Loup de Wall Street, qui a mis une claque à tout le monde lors de sa sortie. À 70 ans passés, Scorsese a toujours la gnaque et l’envie de cogner sur les mœurs de ses contemporains, et il n’a de toute évidence pas dit son dernier mot.

Du bis, du sabre, de l’horreur et tout Pixar

Comme si ce majestueux Prix Lumière ne suffisait pas, le festival a dévoilé une partie de sa programmation qui, elle aussi, a carrément de la gueule : à l’occasion de la sortie de son livre The Act of Seeing, Nicolas Winding Refn viendra présenter une carte blanche, une exposition et donnera des conférences sur sa passion pour le cinéma d’exploitation ; une rétrospective sera consacrée aux années Toho d’Akira Kurosawa avec des films et des documents inédits ; Julien Duvivier sera à l’honneur avec quelques-uns de ses films les plus célèbres ; la Gaumont fêtera ses 120 ans avec une programmation spéciale tirée de son catalogue tandis qu’on célébrera un autre anniversaire, celui des 100 ans de Technicolor ; un hommage sera rendu à Jean Yanne, génial acteur et réalisateur ; Sophia Loren et Alexandre Desplat compteront parmi les invités du festival ; au rayon raretés, on découvrira l’œuvre d’une cinéaste russe, Larissa Chepitko, dont on ne connaissait même pas l’existence.

Quant à la Nuit du cinéma à la Halle Tony Garnier, elle est placée sous le signe de la "peur" avec quatre films fantastiques à tous les sens du terme et qui foutent effectivement les jetons : The Thing (le Carpenter, pas son remake, hein…), La Nuit des morts-vivants, Evil Dead (l’original, là aussi…) et Insidious — d’ailleurs, il est réjouissant de voir James Wan aux côtés des maîtres de l’horreur que sont Raimi, Romero et Carpenter. Quelques titres ont déjà filtré concernant les grandes projections, et ce n’est pas rien non plus : Out of Africa, Docteur Jivago ou la énième director’s cut de Blade runner.

Enfin, last but not least, Lumière proposera rien moins qu’une intégrale Pixar à l’occasion des trente ans du studio — et à mi-chemin de la sortie de Vice-versa et du Voyage d’Arlo. Si vous avez bien lu notre Une de la semaine dernière, vous pouvez imaginer notre joie intense à cette annonce !

Lumière 2015
Du 12 au 18 octobre

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