Nommé à la tête du TNG en janvier 2015, Joris Mathieu lance cette semaine sa première saison d'un théâtre destiné à la fois aux très petits et aux bien plus grands. Saison qui se déploie désormais aussi en centre-ville, au Théâtre des Ateliers. Rencontre.
Grand changement cette saison, la multiplications des lieux : le TNG est aussi dans les murs des Ateliers...
Joris Mathieu : C'est une façon d'ouvrir le théâtre jeune public sur la ville, dans le centre, en poursuivant le travail sur les écritures contemporaines. Ce sont deux espaces pour construire et accueillir plus d'artistes en création. Car il y a tous ceux qui sont programmés et ceux que l'on ne voit pas, qui sont en répétition, en écriture... On a toujours besoin de plus de lieux pour développer cela comme le font les Subsistances, avec qui on commence à dialoguer pour imaginer ensemble un pôle de création pour les artistes.
Votre projet s'appelle "Imaginer demain". Expliquez-nous...
Il y a trois axes importants dans ce projet. Tout d'abord la place accordée à la jeunesse. Une génération c'est environ dix ans ; celle des 6–16 ans va pouvoir s'exprimer. On met pour cela en place des petits rendez-vous publics où des jeunes peuvent passer du temps dans le théâtre avec des artistes et moi-même, pour simplement voir ce qui nous nourrit mutuellement et peut en émerger. C'est important de les accompagner dans la vision qu'ils ont de leur futur. Ensuite, il y a la question, à travers l'art, du monde tel qu'il est aujourd'hui et tel qu'il sera. Cela pose la nécessité que toutes les générations dialoguent autour de sujets de société. Et puis il y a les "imaginaires de la scène". À quoi ressemblera le théâtre demain, quelle diversité d'esthétiques existera ?
Quels sont ces sujets et comment la programmation du TNG les traduit ?
Il y a des invitations lancées à notre artiste associée Phia Ménard avec la reprise de L'Après-midi d'un foehn, qui parle de l'identité. C'est exprimer son être au monde dans une société qui n'intègre pas toujours très bien les singularités. On le voit aussi dans le spectacle A game of you dans le festival Micro-mondes, qui est une introspection, ou Mon frère, ma princesse sur la question du genre, qui pour moi n'est pas polémique car la polémique est née du fait qu'on ne veuille pas aborder cette question. Or elle précède l'existence du spectacle et de l'art. La nier, ce n'est pas y répondre.
Chiara Guidi est comme Phia Ménard artiste associée pendant trois ans. Comment leur présence va se traduire dans la saison ?
Chiara va récréer son atelier-spectacle La Terre des lombrics et il sera l'objet d'un stage de formation avec des comédiens qui vont apprendre à jouer pour la jeunesse. Elle sera aussi présente sur d'autres rendez-vous comme "en compagnie de...", où on invite des jeunes enfants à passer du temps avec des artistes. La particularité est que ce ne sera pas un atelier de pratique mais un temps d'échange. Guillaume Bailliart [metteur en scène de Tartuffe, NdlR] y participera aussi. C'est une manière de développer cette idée que, pour commencer à se familiariser avec un langage, avec le théâtre, avec l'art en général, il y a bien sûr l'expérience de spectateur, mais aussi l'importance de fréquenter des artistes dans un espace libre et un peu informel.
Vous avez souvent été catalogué comme un artiste de l'ère numérique, mais il y a dans votre saison de la marionnette, du texte...
Je ne suis pas tout numérique. C'est très important de ne pas tomber dans l'uniformisation. Ce qui fonde notre projet est de relayer des écritures singulières, quelle que soit la forme. Ce serait un mauvais reflet de l'art aujourd'hui que de n'en présenter que des formes numériques.
Vous allez vous-même présenter une création cette saison, Hikikomori, dans laquelle les spectateurs seront munis d'un écouteur. Est-ce qu'elle synthétise votre projet ?
Ce qui m'intéresse est de considérer le théâtre comme le lieu où on se rassemble à la fois pour assister communément à une expérience et pour vivre quelque chose de très intime et individuel. Dans Hikikomori, il y aura trois narrations et trois récits pour rentrer dans la tête du personnage, un jeune garçon qui a décidé de s'enfermer. Ça pose aussi une question de société : le théâtre, dans sa dimension politique, est un reflet déformé du monde tel que l'artiste le perçoit. Mais ça ne passe pas que par le texte. Il faut aussi s'interroger sur la société à laquelle on se destine, savoir si elle va sur-individualiser les pratiques, provoquer un isolement. C'est aussi cela imaginer demain.
De grands noms vous accompagnent dans cette saison, dont un artiste majeur dans votre construction : Roméo Castellucci...
Il est moi pour inimaginable qu'un artiste aussi important, présent dans tous les grands rendez-vous internationaux, n'ait quasiment jamais joué à Lyon. C'est comme si on ne pouvait pas faire culture commune avec les spectateurs, car on a vu un spectacle qu'on n'a pas pu partager jusque là avec eux. Il faut permettre cette transmission. Et c'est possible en partenariat avec les Célestins qui l'accueillent. La question n'est pas de savoir si on aime cela, c'est une toile de maître. Quand j'ai découvert son travail, ça m'a réellement permis de me dépasser dans ma pratique artistique, car c'est d'une radicalité totale, d'une immense liberté.
Présentation de saison
Au TNG jeudi 10 septembre