Le Trokson, 10 ans de vacarme souterrain

Le Trokson fête cette semaine son dixième anniversaire. Retour sur l'histoire, entre heureux accidents et coups de poker payants, du rade le plus électrique des pentes de la Croix-Rousse.

On y entre la première fois comme dans ce repaire de bikers où le Terminator fait ses emplettes au début du Jugement dernier : avec le regard, à la fois fasciné et craintif, de l’anthropologue découvrant une tribu dont les mœurs bousculent ses acquis sociétaux. Car c'est là, au Trokson – nom dérivé d'une ode à la picole sur un coin de zinc de Parabellum –, que le gotha du rock'n'roll lyonnais a ses habitudes. Là que, plusieurs fois par semaine, des dizaines de plus ou moins jeunes gens portant haut les signes distinctifs de l'anticonformisme à 220 volts (tatouages, patches, favoris, cuirs, clous...) se réunissent pour écluser dans la bonne humeur et au son de quelque riff tonitruant, fut-il craché par les enceintes cernant le comptoir boisé ou par les amplis installés au fond du caveau que surplombe le bar, accessible par un escalier en colimaçon à peine moins intimidant qu'une perche de feu. Et c'était pire avant.

Les copains d'abord

Nous sommes au début des années 2000. À l'emplacement actuellement occupé par le Trokson, à l'entame de la montée de la Grande Côte, est posé un tabac. Karl Minetto, barman d'expérience et aspirant organisateur de concerts – il a notamment fait ses armes au Bar des Capucins, autre sous-sol grouillant de décibels – n'en est qu'un client parmi d'autres.

Jusqu'au jour où le propriétaire propose de lui céder son fonds de commerce. Habitué des Pez Ner, Bistroy et autres hauts lieux aujourd'hui disparus des musiques alternatives, il découvre alors un endroit dont la configuration pourrait non seulement lui permettre de poursuivre ses deux activités en toute indépendance, mais aussi de le faire dans des conditions susceptibles de le mettre à l'abri de la vague de répression sonore qui sévissait alors :

Ce n'était pas mon rêve d'enfance d'ouvrir un café-concert reconnaît-il aujourd'hui. C'est un heureux hasard. Si le lieu s'était prêté à faire un bistrot de base, c'est ce que j'aurais fait.

Pour le coup, le Trokson n'a, à ses débuts, rien d'un troquet lambda. Principalement fréquentés par les potes de son nouveau propriétaire (toujours habilité à fourguer des bâtonnets de nicotine), les premiers concerts, irrespirables, sont donnés dans une ambiance «je casse mon verre et je gueule très fort», dixit Pierre Lagahe, régisseur et programmateur arrivé dans l'équipe – qui compte aujourd'hui quatre personnes – après trois ans d'exploitation.

Il faudra attendre 2012 et une contre-mesure économique pour que le ton soit plus raccord avec les ambitions de passeurs des deux compères :

Faire de la musique pour les copains, c'est sympa. Mais ce qui est intéressant pour un groupe, c'est de se produire devant d'autres personnes que celles du réseau. Or, la saison précédente, la fréquentation avait sévèrement baissé en bas. Les gens venaient uniquement boire des coups. On était en plein dans la crise. Et puis le Trokson n'était pas encore bien identifié. Ça restait un bar de loubards.

Karl et ses associés prennent alors une décision radicale : en échange d'une légère augmentation du prix des consommations, destinée à assurer aux musiciens des cachets jusqu'ici soumis aux aléas des entrées, ils instaurent la gratuité sur tous leurs concerts – à peu près 150 par ans – contre 2 à 5 euros précédemment.

De la place pour tout le monde

Après un mois de confusion, la décision s'avère plus que payante : les étudiants et les non initiés à la chose électrique affluent en masse, au point d'ériger le Trokson en pilier de la sacro-sainte vie de quartier des Pentes, sans que les autorités y trouvent pour l'instant à y redire – «notamment parce qu'on fait énormément de pédagogie avec nos voisins et nos clients» précise le patron.

Depuis, l'immense terrasse qui fait face aux tireuses ne désemplit pas, que ses gérants fassent œuvre de défrichage, à l'échelle locale – des Buttshakers à Rank, beaucoup de formations locales ont poussé leurs premier larsens sous la voûte pierreuse – mais pas seulement – les néo-garageux de J.C.Satàn et les Turinois possédés de Movie Star Junkies comptent parmi les découvertes de la maison –, ou qu'ils accueillent des big names attirés par la sauvage intimité promise par la jauge de 70 places – du bluesman à poil Legendary Tigerman aux vétérans de la oi! (déclinaison strictement prolétaire du punk) de Sham 69.

Entre temps, le Trokson a évidemment connu quelques changements cosmétiques : il s'est débarrassé de son tabac, a "upgradé" son matos et ses matériaux d'isolation, rendu plus fréquentable pour la gente féminine ses légendaires chiottes avec vue...

Il a même poussé les murs jusqu'au Clacson et au Transbordeur, le temps de quatre éditions du Big Tinnitus, un festival conçu dans l'idée de «renouer avec l'esprit initial de ce type d'événement, où quand tu voyais une tête d'affiche, tu savais qu'elle n'allait pas rejouer ailleurs le reste de l'année.»

Mais il reste, à l'aube de son dixième anniversaire, célébré en grandes pompes (ou plutôt en grands coups de pompes) à domicile et au Marché Gare en compagnie de fidèles – les punks andalous de La URSS, la huitaine de DJs ayant tenu résidence entre ses tables émoussées – et de groupes caractéristiques de ses orientations – The Lost Boys, gloires locales du hardcore, Atomic Suplex, quatuor londonien versé dans le rock'n'roll craspec et concon à la Dwarves et encore jamais passé par Lyon –, cet espèce de saloon sixties dont on ne revient pas, îlot de camaraderie brute de décoffrage dans un secteur peu à peu envahi par la nouvelle garde bourgeoise.

Les 10 ans du Trokson
Au Trokson et au Marché Gare du jeudi 1er au samedi 3 octobre

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