L'Odeur de la mandarine

​Une veuve et un mutilé de la Grande Guerre contractent un arrangement matrimonial dont chacun tire un avantage égal… jusqu’à ce que l’asymétrie des sentiments perturbe la donne. Avec ce double portrait de cœurs et de corps meurtris, Gilles Legrand signe son meilleur film.

1918. Alors que les combats se poursuivent, Angèle arrive avec sa fille au château de Charles, un officier amputé d’une jambe. Infirmière, elle a elle-même perdu son compagnon au front. Entre Angèle et son patient, une relation de camaraderie puis de complicité se noue, au point que le militaire, sans famille — tout en sachant qu’elle ne l’aime pas —, lui propose de l’épouser et de faire de sa fille son héritière. Ils établissent alors un protocole d’accord laissant à l’épousée une liberté peu fréquente pour l’époque. Mais leur entente finit par se fissurer, d’autant qu’un déserteur à l’animalité exacerbée a fait irruption dans leur entourage…

Il s’est passé quelque chose dans le cinéma de Gilles Legrand ; comme un électrochoc lui donnant l’impulsion de dépasser le classicisme très "qualité française" de ses réalisations précédentes (Malabar Princess, La Jeune Fille et les Loups et Tu seras mon fils) pour atteindre un niveau de gravité et de grâce jusqu’à présent inégalés. Peut-être l’envie d’oser, tout simplement ; une envie que ce producteur connaît déjà lorsqu’il s’engage dans des projets aussi insolites que le documentaire abstrait Dogora (2004) de Patrice Leconte ou le sinistre mais fascinant Les Âmes grises (2005) d’Yves Angelo. L’Odeur de la mandarine s’inscrit dans sa continuité, de par le contexte de la "Der des ders", et parce qu'Angelo en assume la photographie.

La guerre et ce qui s'ensuivit

Dans ce film de guerre, celle-ci est omniprésente bien que jamais on n’assiste à un combat : Legrand choisit de montrer ses conséquences, tellement plus évocatrices. En préfèrant le mode allusif au mode démonstratif, il étend les champs d’interprétation, laisse de l’espace à ses personnages, donc à ses comédiens, pour les habiter.

Cette modernité dont il a doté Angèle et Charles, être atypiques dans une époque chamboulée, ne les empêche pas d’éprouver des sentiments intemporels et évolutifs. S’il décrit avec finesse le rapprochement de ces deux âmes, il dépeint avec davantage d’adresse encore la naissance de la froideur et de cette haine paradoxale qu'Angèle va nourrir à l’encontre de son mari.

Ni bluette à deux sous, ni fresque passionnée à violons enivrés, L’Odeur de la mandarine déjoue les conventions d’un genre épuisé. Ça a l’air d’être juste une histoire toute simple ; c’est tout simplement une histoire juste.

L'Odeur de la mandarine
De Gilles Legrand (Fr, 1h50) avec Olivier Gourmet, Georgia Scalliet, Dimitri Storoge…

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