Tendre et cruel, fourmillant d'inventions, le "Riquet" version Laurent Brethome est un conte pour petits et grands bouleversant de sincérité et de foi en la force naïve et sublime de l'art théâtral. Après avoir ouvert le In d'Avignon, le voici au Toboggan. Nadja Pobel
Il était une fois... rien du tout, en fait. Déjà chez Charles Perrault, rien ne se passait comme prévu. La fable enfantine avait du plomb dans l'aile, même si elle était empreinte d'un amour courtois et phallocrate, fatalement phallocrate. Le prince moche avait le choix d'épouser une princesse laide et intelligente ou sa sœur, belle et bête.
Laurent Brethome, alors gosse vendéen suractif, en lutte contre tout et d'abord lui-même et ses tics nerveux (des "mouvements" comme disent alors joliment les médecins), y avait trouvé un miroir de son monde, pas bien sous tous rapports et dans lequel l'enfance, puisqu'elle déraille, n'a rien de sanctuarisé. Devenu trentenaire et adoubé par la critique, les programmateurs et les spectateurs (un prix Impatience du public pour Les Souffrances de Job, une longue tournée des Fourberies de Scapin qui passera d'ailleurs par Saint-Priest en décembre), Brethome n'a pas oublié sa rencontre avec cette histoire-là et a confié à son complice Antoine Herniotte le soin d'une réécriture qui s'avère piquante, drôle, directe, crue et empreinte d'une constante tendresse.
Car quoi ? Quelle est donc l'histoire dans laquelle nous sommes tous embarqués ? Celle d'une cohabitation avec soi-même et, si possible, quelques semblables. Dans le meilleur des cas, d'un amour. Ses personnages ont oublié la splendeur des palais dorés, mais n'ont rien perdu de la féerie du conte originel. Et tant pis si la baguette magique est un balai WC. Point de robe qui fasse briller les yeux des fillettes non plus, mais des sacs de papier froissés qui prennent les atours de parures décaties, comme s'il ne restait du mythe que la moelle : l'humain qui cesse de se planquer derrière un decorum factice.
Laurent Brethome sait réinventer les histoires connues, dans des registres très éclectiques, de Feydeau à Hanoch Levin en passant par Molière. Il les fait siennes. Avec, ici, la contrainte de s'adresser aussi aux enfants, il gagne en concision et va droit à l'émotion, là où il a parfois eu tendance à trop en faire (des portes qui claquent trop fort trop souvent, une débauche de peinture ou d'eau), dosant parfaitement ses effets sans que leur portée n'en soit atténuée. Probablement fallait-il expérimenter tout ce qui a précédé pour en arriver à ce Riquet qui synthétise son œuvre sans l'affadir. Un tour de force à l'origine de scènes très touchantes.
Bricoler
Depuis longtemps, en effet, il y a chez Laurent Brethome cette idée que l'intellectualisation est l'ennemi de la mise en scène. Il croit en ses acteurs, ses musiciens (voir Jean-Baptiste Cognet, compagnon de La Meute, sur Scapin, et la composition d'Antoine Herniotte sur ce Riquet) et aux matières organiques. Moins de liquides ici que dans ses créations antérieures, mais une utilisation ingénieuse du papier, malmené, jeté, craché. Quant aux phases de nettoyage des grands panneaux sur lesquels son décor (signé Rudy Sabounghi) est dessiné en live painting par Louis Levadan, elles sont exécutées façon laveur de vitre avec de larges mouvements verticaux. Exit là encore toute forme de grandiloquence, au profit des procédés simples et modestes.
Un travail d'ouvrier en quelque sorte, qui s'exprime aussi dans sa gestion de la lumière, réminiscence de l'enfance quand elle apparaît en tâches phosphorescentes dans la forêt sombre, comme les lucioles qui endorment les mômes. Par ailleurs, les projections, multiples, ne versent jamais dans le high tech. Loin des vidéos léchées, Brethome revient en effet à des procédés ancestraux, encres de Chine ou ombres portées qui dialoguent magnifiquement avec des héros de chair et d'os incarnés avec drôlerie et singularité, notamment par François Jaulin, qui porte un fascinant hybride de Riquet et du metteur en scène lui-même.
Grandir
«De toute façon, les vieilles traditions, c'est du pipeau ! (...) Et tu sais quoi ? Y'a rien qui oblige de vite trouver son prince (...). Moi aussi je vais partir, je vais quitter cette histoire qui n'est pas faite pour moi (...). Je vais quitter Matriona [la ville, NdlR] sans prince. Je vais partir. Pour moi» dit Mimi Pédia, la sœur qui accepte de ne pas être l'amoureuse sur commande et renonce ainsi aux intentions du père.
Ce Riquet-là est celui de l'émancipation, de l'affirmation de soi. Celle aussi d'un metteur en scène qui cherche depuis le début de sa carrière à surtout ne pas être pris dans les conventions d'un théâtre à papa. Mais plus besoin ici de la radicalité de grands gestes tonitruants. Accompagner ses personnages dans leur mue semble le meilleur viatique de son évolution artistique : dans un dépouillement qui ne vire jamais au simplisme, Riquet et Sublima se défont de leurs oripeaux. Les voilà en jean et sans houppe. Banalement, mais sans renoncer à se faire une place extraordinaire dans ce monde «en retard».
Riquet
Au Toboggan mardi 3 novembre