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Riddim Collision 2015 : Clark et Blanck Mass, mutants après tout

À l'affiche d'une 17e Riddim Collision en tout point formidable, les Britanniques Clark et Blanck Mass ont suivi depuis leurs débuts un cheminement similaire, d'une annihilation pure et simple de la notion de pulsation à son rapiéçage frankensteinien. Développant, indirectement, une vision apparentée d'un devenir mutant de l'Humanité. Benjamin Mialot

Un jour, des implants cérébraux nous offriront la possibilité de télécharger les compétences de notre choix à la volée. Un jour, des bio-imprimantes nous permettront de remplacer en un tour de clavier les organes endommagés par nos excès. Un jour, grâce à des prothèses robotiques, nous pourrons nous affranchir des limitations physiques que Mère Nature nous impose arbitrairement. Bref, un jour, nous serons tous de parfaits fantasmes kraftwerkiens, hommes-machines figés dans une éternelle béatitude de synthèse. C'est en tout cas ce qu'affirme le transhumanisme, ce courant intellectuel prônant l'amélioration des capacités humaines par la science et la technique.

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Pour l'heure, la réalité est un peu moins glamour. Obésité galopante, affaissement musculaire à force de sédentarité, crainte croissante des défaillances radioactives : l'Homme est plutôt parti pour ressembler au Master, le grand méchant du jeu de rôle post-apocalyptique Fallout, repoussant tas de chair connecté prônant l'Unité, autrement dit le perfectionnement et la dépersonnalisation de l'espèce humaine par la mutation génétique.

Longue vie à la nouvelle chair

La particularité la plus marquante de ce personnage était sa voix : générée par ordinateur, elle était composée de samples de paroles d'hommes et femmes non identifiés, signaux tour à tour agressifs et charmeurs semblant surgir aléatoirement de ses gluantes entrailles.

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À cet égard, le (monstrueux) deuxième album de Benjamin John Power sous le nom de Blanck Mass pourrait être son testament. Intitulé Dumb Flesh ("stupide chair"), dissimulé sous des replis graisseux et mu par une hantise de la dégénérescence, il renferme l'une des collections de chants les plus flippantes, et par là même l'une des plus fascinantes, qu'on ait entendues. Joués à l'envers et ralentis (Loam, beau et sludgy comme un lever de soleil d'hiver nucléaire) ou pitch-shiftés et découpés jusqu'à la défiguration (le hit noisy-house Dead Format), ils sonnent comme les restes fantomatiques d'une civilisation au bord de l'asphyxie (Lung, "poumon", respiration electronica en forme de délivrance), dépassée par sa quête de confort (le abstract hip-hop à l'horizontal d'Atrophies) et son obsession pour la propriété (le final Detritus, dont les drones dégueulent littéralement des enceintes).

Les machines, elles, se portent mieux : sifflant, dans le fracas des saturations et des martèlements, des mélodies plus conquérantes que jamais, elles prennent actes du travail de sape effectué par ce natif de Bristol sur son premier album éponyme, fresque ambient qui dissimulait son pessimisme sous des couches de textures majestueuses (Chernobyl, Land Disasters). Un changement de paradigme qui n'est pas sans rappeler la carrière suivie par le duo au sein duquel il s'est d'abord fait connaître, Fuck Buttons : débutée en 2008 sur des bases assourdissantes et quasi arythmiques héritées du post-rock de Mogwai et de l'IDM selon Aphex Twin, elle les voit désormais, lui et son acolyte Andrew Hung, malmener les canons de la dance music tout en dissolvant leur humanité dans un grand bain de liquide de refroidissement.

L'attaque des clones

Leur compatriote Chris Clark les a précédés de quelques années dans cette démarche. Batteur de formation, il fut au début des années 2000 l'un des artisans de l'expansion du label Warp, qui dès sa fondation en 1989 se fit fort de transformer les musiques à danser en musiques à convulser et/ou à contempler (Autechre, Boards of Canada, Squarepusher...).

Heurtées mais toujours sous-tendues par une idée forte du songwriting, ses compositions ne prirent toutefois leurs formes les plus singulières, celles d'indéchiffrables amas de distorsions à gros grains, de panoramas analogiques, de voix en lambeaux, d'arrangements de comptines et de tempos faussement erratiques, qu'après qu'il a abandonné, c'est un signe, un bout de lui-même : son prénom. D'abord sur le dévastateur Tunring Dragon (2008), dont les broken beats irréparables et harmonies épileptiques grignotent le cerveau plus sûrement qu'un équivalent nanotechnologique de l'amoeba. Ensuite sur le schizophrénique Totems Flare (2009), succession de bourrades pixelisées et de méditations en haute définition où, pour la première fois, il faisait subir les pires altérations à sa propre voix.

Quand bien même le corps lui inspire plus de curiosité que de dégoût – son premier disque majeur s'intitulait The Body Riddle, "l'énigme du corps" – c'est justement dans cette manière la fois masochiste et visionnaire de le réduire à une bouillie génétique tout juste bonne à servir de biocarburant à des voraces tas de ferraille que ses travaux convergent avec ceux de Blanck Mass – d'autant que son nouvel album, sans rien sacrifier à l'avant-gardisme qu'on lui connaît, est à l'instar de Dumb Flesh plus que jamais au service du dancefloor.

Leurs identités visuelles, pleines de greffes et de démultiplications, la prolongent. Sur la pochette de Feast / Beast, compilation de ses excellents remixes, Clark apparaissait doté d'un bouquet de mains droites, tandis qu'un récent portait de Power le montre en train de se plisser le front en cinq exemplaires. Connaissant leur dextérité scénique, les deux, c'est un comble, pourraient avoir été réalisées sans trucage.

Clark + Blanck Mass
Au Transbordeur samedi 14 novembre, dans le cadre du Riddim Collision

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