La musique d'Ellis Ludwig-Leone, c'est à la fois Le Carnaval des animaux, Pierre et le Loup et Les Métamorphoses d'Ovide. D'abord parce qu'après le taureau qui ornait la pochette du premier album éponyme, voici le lièvre de Jackrabbit, précédé quelques mois auparavant d'un single baptisé Parasites figurant une mouche. Ensuite parce que ce périlleux second long est un sidérant puzzle de chansons métamorphes, de créatures cryptozoologico-musicales, de chrysalides opérant leur transformations sous nos oreilles pile au moment où l'on croit en avoir cerné les contours et la structure. Attraper les chansons de Jackrabbit, c'est comme courir après un lièvre sur un grand huit.
Barré, baroque, Ellis Ludwig-Leone, Dr Frankenstein pop conscient que le diable est dans les détails, s'y montre capable de muer un r'n'b en folklore irlandais ou en chant lyrique au sein du même morceau (Parasites semble s'auto-parasiter), sans que jamais on n'aperçoive les coutures de ce drôle d'ensemble, cette cacophonie volontaire d'une invraisemblable maîtrise, dans laquelle le compositeur a eu à cœur que chaque musicien puisse jouer un rôle.
On retrouve là l'engagement quasi kamikaze de Charlene Kaye, qui chante comme si c'était la dernière fois ; la voix de baryton d'Allen Tate – qu'on n'a pas fini de comparer à Matt Berninger de The National, même si Allen en a soupé, l'album étant produit par le producteur de... The National – qui semble toujours creuser un peu plus les tréfonds de l'âme humaine avec un détachement qui n'appartient qu'à lui ; le sens du break de Michael Hanff (batterie) et les cuivres vivants de Stephen Chen (sax baryton à faire trembler la terre) et Stephen Brandon (trompette turbulente), dont la complicité saute véritablement au visage, comme une ultime affirmation que le tout dépasse la somme des parties.
San Fermin est désormais un groupe, pas comme les autres, certes, mais un groupe, une harde, un troupeau, un ban, une armée mexicaine. Où chacun, on le vérifiera sur scène, semble s'agiter dans tous les sens, quand tous visent en réalité la même direction, nous emportant au passage dans leur puissant sillage épique.
Jackrabbit (Downtown Records)