Si rares dans le théâtre français, les affaires politiques émaillent le nouveau texte de Michel Vinaver, "Bettencourt Boulevard". Malgré une scénographie d'une beauté plastique irréprochable, la pièce qu'en a tiré Christian Schiaretti manque malheureusement de rythme, entravée par une écriture qui se révèle, in fine, difficilement adaptable à la scène.
Construite en trente morceaux comme autant de portions d'une saga familiale se mêlant vertigineusement aux affaires publiques, Bettencourt Boulevard a été imaginée par Michel Vinaver avec ce qui lui est resté de tout ce qu'il a lu dans la presse de cette affaire mise au jour par Médiapart en 2010. Pour ne pas trop se disperser, il a supprimé les personnages liés aux milieux judiciaire, policier ou médical et y a ajouté le fantôme du père de Liliane, militant de la droite extrême et fondateur de L'Oréal, en dialogue avec le rabbin Robert Meyers, le père du mari de Françoise, la fille de Liliane, qui fut déporté à Auschwitz – soit deux visions de l'humanité glacialement opposées qui, en fin de partie, donnent du volume à la pièce.
Au cœur du sujet, la milliardaire et François-Marie Banier papillonnent d'un interlocuteur à l'autre et cristallisent les ressentiments de leur entourage mais, avec sa forme éclatée, sans véritable scène où les personnages ont le temps d'instaurer une communication, la pièce s'avère très compliquée à tenir au plateau alors qu'à la lecture, cette choralité se digérait assez aisément.
Bord cadre
Dans un décor très graphique rappelant une publicité pour le produit StudioFix (elle-même inspirée des peintures de Mondrian) et soigneusement mis en lumière, au milieu d'une vingtaine de chaises blanches éparpillées, les comédiens se perdent quand ils ne sont tout simplement pas statiques, provoquant un manque de rythme certain (qui sera sans doute corrigé au fil de la longue série de représentations). Ils sont par ailleurs, la partition le leur impose, bien souvent contraints à un numéro, tel celui, très réussi (et très court) de Gaston Richard dans la peau d'un Nicolas Sarkozy benêt. Stéphane Bernard interprète lui un majordome tout en retenue et hésitations très à-propos, tandis que Francine Bergé fait figure, à travers Liliane, de solide colonne vertébrale du spectacle, contrastant notamment avec sa comptable, éteinte.
Mais c'est Jérôme Deschamps, cabotinant pour le meilleur en parfait Maistre, qui tire cette mise en scène de Christian Schiaretti (qu'on a connu plus à l'aise avec Une saison au Congo ou Par-dessus bord) au bon endroit : vers la comédie, souhaitée par Vinaver. Il révèle du même coup le manque de fantaisie de l'ensemble. Une fantaisie pourtant à même de souligner l'absurdité comique de cette histoire : celle d'une héritière devenue milliardaire que sa famille ennuie et qui ne cherche qu'à s'amuser avec un courtisan. Et pour laquelle Vinaver a même été jusqu'à inventer un dieu grec, AJEM (Appareil de Justice et Expertise Médicale), la faisant définitivement entrer dans la fiction.
Bettencourt Boulevard ou une histoire de France
Au TNP jusqu'au 19 décembre