William Marx : « La Haine vaut mieux que l'indifférence »

Invité à réfléchir au(x) "Devenir(s) de la littérature", William Marx est l'auteur du savoureux La Haine de la Littérature où, de Platon le chasseur de poètes à Sarkozy l'allergique à La Princesse de Clèves, cet historien des Lettres recense, explique, réfute et moque 2500 ans d'attaques répétées.

Pourquoi vous être intéressé à La Haine de la Littérature ?
William Marx : Il faut comprendre ce livre comme une déclaration d'amour à la littérature, mais une déclaration à l'envers. Cette discipline est en but depuis la plus haute antiquité à une hostilité très forte, et c'est peut-être ce qui l'a construit. Il me semblait important de la resituer dans ce contexte, d'énumérer l'ensemble des arguments qui lui ont été objectés et surtout d'y répondre. Ce livre se présente comme un éloge paradoxal de la littérature : à chaque attaque, parfois ridicule, j'oppose un antidote.

On est surpris d'apprendre que les premiers pourfendeurs de la littérature furent les plus grands philosophes.
L'ensemble des arguments énoncés depuis 2500 ans contre la littérature se trouvent quasiment tous chez Platon. La philosophie, historiquement, est née contre la poésie et ce discours que nous appelons aujourd'hui littérature. À l'époque, Platon rêve d'un État autoritaire totalement idéologique qui serait dirigé par les philosophes. Il va donc essayer de contester un certain nombre d'autres autorités, comme celle du poète – qui a alors une vraie fonction civique et politique – au profit d'un discours fondé sur la Raison. Depuis, on n'a fait que reprendre ces arguments à d'autres profits.

Vous dites que la littérature s'est en partie construite sur cette hostilité que vous nommez "antilittérature", ce livre était-il pour vous une tentative de définition, en creux, de l'objet littéraire ?
Oui, c'est le vrai projet. Ces discours contre la littérature sont un instrument merveilleux parce qu'ils la définissent depuis son dehors. Petit à petit avec l'apparition de la philosophie, des sciences, des discours religieux, la littérature se retrouve dépouillée de son pouvoir mais se trouve toujours là où l'on ne l'attend pas. Elle parle du monde, elle énonce un certain nombre de vérités, elle peut servir de modèle d'action, mais elle le fait sans la légitimité des scientifiques, des pédagogues, des philosophes, des sociologues, des historiens, qui parlent du monde de manière justifiée. Le pouvoir de la littérature est illégitime par excellence.

Vous écrivez que nous avons réalisé le rêve de Platon : la littérature a perdu toute autorité, elle est juste bonne à meubler les heures perdues.
Si Platon revenait parmi nous, il n'aurait plus rien à dire de la littérature d'aujourd'hui. Elle ne vaut plus la peine qu'on s'y attaque comme il le faisait : elle a perdu tout pouvoir. À la fin, je dis quand même que si les gens la lisent c'est parce qu'il doit bien en rester quelque chose qui va au-delà du simple plaisir esthétique. Mais c'est vrai que la dimension politique ou civique d'un Homère ou des Tragiques à Athènes n'est plus reconnue comme telle en France au XXIe siècle. D'une certaine manière, Platon a gagné.

On a les ennemis qu'on mérite. Le plus grand drame de la littérature n'est-il pas d'être passé, en terme de contempteurs, de Platon à Sarkozy dont vous rappelez longuement l'attaque sur La Princesse de Clèves ?
Plus la littérature perd de son pouvoir, plus la qualité des attaques s'en ressent. L'argument contemporain – y compris chez Bourdieu – est qu'elle ne serait pas un porte-parole efficace de la société. A l'époque de sa première sortie sur la Princesse de Clèves en 2006 à Lyon, Sarkozy considérait que la littérature ne peut servir de langage commun dans une culture générale fondatrice de la nation française. Il est complètement paradoxal qu'un homme si fasciné par la question de l'identité nationale oublie que la France est identifiée depuis des siècles comme une nation littéraire, surtout à l'étranger. C'est symptomatique de la classe politique comme on l'a vu avec l'affaire Pellerin / Modiano. Sarkozy a fait amende honorable. Grâce à lui, tout le monde sait maintenant que La Princesse de Clèves a été écrit par Madame de Lafayette, les ventes du livre ont explosé. On peut le remercier : à cet égard, l'hostilité envers la littérature vaut toujours mieux que l'indifférence.

Propos recueillis par Stéphane Duchêne

La Haine de la Littérature, de William Marx (Minuit / Paradoxe, 19€)

Devenir(s) de la Littérature
À l'Amphi Culturel de l'Université Lumière Lyon 2 le vendredi 4 mars

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