Virginie Despentes : la Voix du peuple

À Bron, Virginie Despentes dialoguera ce week-end avec Edouard Louis. Et donnera une lecture-concert autour de Louis Calaferte, accompagnée du groupe Zëro. Dotée d’un talent certain pour peindre en quelques phrases le portrait de ses contemporains, celle qui doit son pseudonyme aux pentes de la Croix-Rousse est l’une des voix les plus passionnantes de la littérature populaire contemporaine.

Vernon Subutex est une parfaite photographie de l’époque, des débats qui l’animent, des trajectoires parfois contradictoires d’individus. Comment avez-vous créé cette fresque du temps présent ?
Virginie Despentes : J’avais comme point de départ l’idée d’un presque quinquagénaire qui perd son appartement. Ensuite est venue l’idée qu’il ait été disquaire. Ça devait être un livre très court. Et puis c’est devenu Subutex. Je ne me suis pas dit que j’allais faire une photographie de l’époque, mais une fois qu’on prend le rock comme moteur, on se retrouve vite à brasser beaucoup de gens différents… Ce n’était pas prémédité, mais c’est un vrai centre de tri, ce truc !

En le lisant, on sent un vrai plaisir à l’écrire. Baise-moi était un cri sorti en quelques jours, là, il y a une maîtrise nouvelle dans l’écriture, une sorte de confiance à toute épreuve. Et aussi, une tendresse différente pour les personnages, surtout dans le volume 2.
Je ne suis pas bien placée pour me rendre compte de ça. Je sais que j’avais plus de temps, plus les moyens de prendre ce temps pour écrire, parce qu’Apocalypse Bébé avait été un succès et que ça me laissait plus de confort que d’habitude. Écrire est difficile pour moi, celui-là comme les autres.
Pour la tendresse, je ne sais pas – j’ai l’impression que j’ai toujours à peu près le même rapport de bienveillance avec mes personnages, je n’ai pas un jugement dur sur ce qu’ils font. Peut-être que le fait que Vernon soit un personnage masculin fait que cette tendresse est plus facile à partager – les lecteurs sont moins habitués à surveiller et juger une conduite masculine.

On ne peut éviter d’évoquer les séries TV, dont vous être friande, en parlant de Vernon Subutex…
Je regarde beaucoup de séries. Et j’y ai pensé, pas au moment d’écrire Vernon, mais au moment de le relire et le corriger. J’ai pensé à la structure de séries comme Lost, ou à l’exigence de True Detective – je me suis dit que même si je voulais faire un roman facile à lire, je pouvais me permettre d’introduire des flashbacks très longs et de ne pas m’en faire : le lecteur de base regarde lui aussi des séries, il est habitué à des structures narratives beaucoup plus complexes que ce que je fais.

Où en-est le troisième volume de Vernon Subutex ?
Il a pris du retard… mais il est plutôt agréable à écrire.

Baise-Moi était carrément en avance et a mis sur le devant de la scène un monde que la société refusait de voir, avant de l’absorber. Quel regard portez-vous sur l’impact de ce livre, sur cette époque où le succès de Nirvana pourrait être un parallèle ?
Baise-Moi a été écrit l’été de l’album de Nirvana. Je ne crois pas qu’on puisse mettre les deux ouvrages sur le même plan… (Ça me plairait beaucoup, ceci dit, mais Nirvana… reste Nirvana !) Nevermind a éclairé le livre, l’a propulsé dans un truc encore plus nihiliste, parce que quelque part le succès de Nirvana n’augurait rien de bon, on savait sur le coup que ça signait la fin de quelque chose. C’est aussi l’époque du premier film de Tarantino, Reservoir Dogs – une décennie pendant laquelle les médias mainstream allaient s’intéresser à des trucs qui n’étaient pas conçus au départ pour l’être, comme les grands succès de NTM. Comme auteur, j’ai bénéficié de ce moment précis. Je ne pense pas que ce serait encore possible aujourd’hui – si une jeune fille écrivait quelque chose d’équivalent à Baise-Moi, Manuel Valls, Christine Boutin et l’association Promouvoir organiseraient tout de suite des barrages pour qu’elle ne s’exprime nulle part, demanderaient que son éditeur soit trainé devant les tribunaux, sécurité de l’État oblige…

Vivre en marge, comme un groupe de rock des années 80, libre et heureux, c’est encore possible ? Où se situerait l’équivalent ?
Je ne sais pas. Je ne suis plus jeune. Je ne sais pas si les gamins de Notre-Dame-des-Landes vivent un truc comparable. Je n’y suis jamais allée. Mais peut-être que oui… Par contre, la musique est plus surveillée qu’elle ne l’était. Aujourd’hui, on trouve normal de demander à un artiste hip hop de répondre d’un texte comme s’il était écrit pour être lu dans les maternelles. Dans les années 80, les groupes underground faisaient ce qu’ils voulaient – c’était un truc d’initié, il n’y avait pas de regard extérieur. Je pense que c’est ce qui a fondamentalement changé : aujourd’hui l’industrie du spectacle s’adresse tout le temps aux gens très jeunes, ils s’emparent des cerveaux des enfants. Dans les années 80, il y avait le club Dorothée, tout le reste du temps les adultes nous laissaient faire nos trucs sans s’occuper de nous. On avait beaucoup plus d’espace libre, mentalement.

Lyon, aujourd’hui, ça représente quoi pour vous ? Des souvenirs du disquaire Gougnafland, qui a bien dû inspirer certaines scènes de Vernon Subutex ?
Des amis, oui. Des souvenirs, beaucoup. Mon passé – et je n’en aurais pas d’autre, donc c’est important. Et j’ai aimé avoir vingt ans dans ce milieu là, beaucoup. Évidemment Gougnafland – et Attaque Sonore, avant ça – qui étaient les magasins de disques qu’on avait sont au coeur de Vernon Subutex. Ça ne veut pas dire que j’ai remis tels quels les situations ou les gens, mais j’ai repensé au magasin énormément, pendant que j’écrivais le roman.

Un mot sur Gaspar Noé, qui semble être l’artiste français le plus proche de votre univers, de votre art ? Est-ce que vous échangez en période de création sur le travail de l’un et de l’autre ?
J’aime Gaspar. Les films qu’il fait. Et la personne qu’il est. C’est Coralie qui me l’a présenté quand on préparait Baise-Moi, il a été très présent, d’une façon vraiment géniale et généreuse, pendant tout le film. Et après son interdiction. Depuis on se croise, la vie à Paris fait qu’on ne se voit pas tout le temps. Mais par exemple, il a tourné de grandes parties de Love dans le parc des Buttes Chaumont et je l’ai beaucoup vu travailler. Je ne pense pas que Gaspar lise mes livres – parce qu’il ne lit pas. Mais quand je travaille sur un film, il est toujours prêt à passer sur le montage ou en prépa, et j’aime sa façon de voir les choses. Je connais peu de gens aussi généreux et aussi drôle que Gaspar, et aussi improbable, en fait.

Vous venez à Bron invitée sur un salon où nombre d’auteurs de choix se présentent aussi : quelle lectrice êtes-vous, quel rapport avez-vous avec le livre ? Comment vos goûts ont évolué ?
Mes goûts n’ont pas tellement évolué, je crois. J’ai toujours beaucoup lu et un peu tout et son contraire – je n’ai pas d’époque ou de style ou de pays de prédilection. J’aime bien être seule, et donc j’ai du temps pour lire. Je suis contente d’avoir l’occasion de rencontrer Edouard Louis, que je ne connais pas.

Rencontre avec Edouard Louis
À la Salle des Parieurs de la Fête du Livre de Bron samedi 5 à 15h30

Carte blanche à Virginie Despentes
Lecture-concert avec Zëro
À l'Espace Albert Camus samedi 5 à 19h30

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