article publi-rédactionnels
Antonin Peretjatko : « Un gag n'est pas une science exacte »
Par Vincent Raymond
Publié Mardi 14 juin 2016
Photo : © Rectangle Productions
La loi de la jungle
D'Antonin Peretjatko (Fr, 1h39) avec Vincent Macaigne, Vimala Pons...
La Loi de la Jungle / Comment faire rire ? Ce casse-tête d’un jour pour les candidats au bac de philo est le lot quotidien d’Antonin Peretjatko, qui reçoit les félicitations du jury grâce à sa dernière copie — pardon, son nouveau film.
Est-il facile aujourd’hui de tourner une comédie à la fois burlesque et absurde ? Les cinéastes contemporains semblent timides face à ce style, qui a jadis connu ses heures de gloire…
Antonin Peretjatko : C’est effectivement de l’ordre de la timidité ou de l’autocensure. Faire des gags visuels est assez difficile, parce qu’aujourd’hui les scénarios sont financés par des lecteurs. Écrire quelque chose de visuel, c’est aussi délicat que décrire une peinture que vous allez faire ! Cela explique pourquoi il y a autant d’adaptations de BD comiques : les dessins sont déjà là, et l’on peut plus aisément visualiser le potentiel comique du film. Quant aux livres où l’on éclate de rire, il y en a très peu, il faut remonter à Rabelais.
à lire aussi : "La Loi de la jungle" : et si c'était le succès surprise de l’été ?
La difficulté des gags visuels, c’est qu’ils peuvent avoir un impact sur le scénario et les personnages. Un gag n’est pas une science exacte, on n’est jamais sûr à 100% que cela fonctionne. Et si au tournage ou au montage, on s’aperçoit qu’un effet burlesque situé à un nœud scénaristique très important est raté, on le met à la poubelle. Le problème est qu’il manque alors un étage à la fusée, et il faut retourner une séquence. Cela peut avoir un impact dramatique sur les finances ; voilà pourquoi on réfléchit à deux fois avant de faire ce genre de film.
Cependant vous persistez, en balayant un spectre comique de plus en plus large et précis.
L’humour a ceci de particulier que tout le monde en a, mais ce n’est pas le même. Je voulais ici un éclectisme pour n’exclure personne. Quant à cette douloureuse question du timing dans le gag — si l'on va trop vite ou pas assez —, ce sont des choses qui s’apprennent par l’expérience. Le spectateur est sans concession : s’il ne rit pas, il est en rogne et il le fait savoir. Il aura une autre appréciation pour un drame, un sentiment de colère atténué s’il croit moins aux personnages… Lorsqu'une comédie parlant du monde d’aujourd’hui n’est pas drôle, le public ne voit pas le message, il voit seulement la comédie ratée. C’est pour cela que dans les comédies actuelles, il y a davantage de dialogues : leur perception comique est immédiate. Rien ne dit qu’un film reposant sur le comique de situation ou visuel va être drôle, à part le précédent du réalisateur…
L’accueil favorable réservé à votre premier long-métrage, La Fille du 14 juillet, vous a-t-il encouragé à aller aussi loin dans l’exotisme — aussi bien pour les décors que la narration ?
Pas seulement… Ça m’a aidé à aller dans le baroque d’un film partant dans tous les sens, en feu d’artifice. Mais il y avait aussi un scénario beaucoup plus solide, une ligne directrice faisant que le spectateur ne risquait pas de se perdre dans les méandres de l’histoire. L’intrigue était suffisamment forte pour rassurer les personnes qui mettaient de l’argent dans le film.
Vous faites dire à un personnage que “le Français n’a pas vocation à être rentable”. Un cinéaste, en revanche, se doit-il de l’être ?
Pas forcément. Mais il faut toujours pouvoir faire le film suivant ! Après, la rentabilité peut s’exprimer de plusieurs façons… Un producteur peut s’engager sur un film dont le projet artistique s’adresse à une petite frange de la population, en sachant qu’il lui rapportera suffisamment en terme de notoriété, afin de produire ensuite un film différent rapportant, celui-là, énormément d’argent.
La singularité de votre écriture comique passe aussi par l’utilisation de la musique : vous composez une sorte de patchwork.
C’est tout à fait cela. C’est un film baroque mélangeant plusieurs impressions très différentes : une harmonie de contraires, de styles musicaux et cinématographiques différents. La musique a plusieurs utilisations : elle peut ainsi être un personnage, un sentiment ou simplement donner une couleur. Dans les vingt premières minutes, elle est classique, trop grandiloquente pour les images — elle rappelle les comédies burlesques américaines des années cinquante, parce que c’est du tac-au-tac, des gags visuels, que cela va vite. Puis, lorsque l’on entre dans l’histoire entre les deux personnage, l’atmosphère tourne grâce à la musique. L’arrivée de la musique électronique et de Jean-Michel Jarre à la fin amène encore quelque chose de nouveau. La musique est choisie avant la réalisation, lors des repérages. Les décors incitent à certains choix : par exemple, la jungle m’a renvoyé sur Olivier Messiaen. Ensuite, le montage est un labo qui permet de tester, de voir si les associations avec les images marchent. Ou pas…
pour aller plus loin
vous serez sans doute intéressé par...
Lundi 4 avril 2022 Avec son comparse grolandais Benoît Delépine, Gustave Kervern vient de signer son dixième long-métrage mettant en scène deux politiciens (un écolo et un extrême-centriste de droite) collés l’un à l’autre par le fondement par des féministes pas...
Mercredi 15 décembre 2021 Non content d’avoir partiellement tourné son film à Lyon (et dans sa périphérie) et d’avoir assuré l’avant-première au Comœdia, le réalisateur de La Pièce rapportée (...)
Mercredi 24 novembre 2021 Une guichetière épouse un fils de famille et éprouve l’hostilité continue de la revêche “Reine Mère” déçu par cette mésalliance. Tel est le point de départ de la nouvelle comédie burlesque du Grenoblois Antonin Peretjatko, en partie tournée à Lyon...
Jeudi 10 juin 2021 À force de louer les qualités visuelles du cinéma, on en oublierait presque qu’il marche sur une autre jambe : son oreille, si l’on ose dire. Et que son, musique ou écoute sont décisifs…
Mercredi 16 juin 2021 Métamorphosé par Elie Wajeman, Vincent Macaigne devient dans "Médecin de Nuit" une grande figure tragique de roman noir, tiraillé entre son éthique professionnelle, ses obligations familiales et ses pulsions, au cœur d’une très longue nuit....
Mardi 22 septembre 2020 Pour succéder à Jean Lacornerie, directeur du Théâtre de la Croix-Rousse en partance à la fin de l'année, le jury a choisi ce lundi 21 septembre la Franco-Américaine Courtney Geraghty.
Mercredi 9 septembre 2020 ★★★★☆ Un film de Emmanuel Mouret (Fr, 2h02) avec Camélia Jordana, Niels Schneider, Vincent Macaigne…
Mardi 3 septembre 2019 Un seul être revient… et tout est dévasté. Cédric Kahn convoque un petit théâtre tchekhovien pour pratiquer la psychanalyse explosive d’une famille aux placards emplis de squelettes bien vivants. Un drame ordinaire cruel servi par des interprètes...
Lundi 14 janvier 2019 De Olivier Assayas (Fr, 1h48) avec Guillaume Canet, Juliette Binoche, Vincent Macaigne…
Lundi 14 janvier 2019 Portraits intimes, fresques politiques, cinéma de genre… Olivier Assayas a tâté de tous les registres et vécu autant de vies. Sa nouvelle réalisation les voit doubles, mais lui permet d’évoquer avec clairvoyance les secteurs du livre et du cinéma....
Mercredi 19 septembre 2018 S’il s’est de doté de nouveaux meubles pour la rentrée, l’Aquarium n’a pas remisé ses bonnes habitudes : le Ciné-Café du plateau de la Croix-Rousse accueille (...)
Lundi 10 septembre 2018 Des spectacles par centaines au programme. Lyon et son agglo regorgent de propositions théâtrales mais il manque toujours des noms majeurs du théâtre contemporain.
Mardi 27 février 2018 Artisan héritier de Méliès, le réalisateur Bertrand Mandico évoque avec un enthousiasme volubile la confection des Garçons sauvages.
Mardi 27 février 2018 Arty, élégant, un peu agaçant, mais d’un splendide noir et blanc, ce premier long-métrage a tout du manifeste mandicien d’un cinéma exacerbant les sens et la pellicule, osant pour ce faire être, parfois, sans tête ni queue. Judicieusement interprété...
Mardi 21 novembre 2017 Marvin ou la belle éducation de Anne Fontaine (Fr, 1h53) avec Finnegan Oldfield, Grégory Gadebois, Vincent Macaigne…
Jeudi 23 juin 2016 Du dimanche 26 au mercredi 29 juin, c'est la Fête du cinéma. Une offre tarifaire de 4 euros destinée à doper la fréquentation des salles. On a fait le tri dans l’offre pléthorique proposée. Attention tout de même : cette sélection avec la liste des...
Mardi 14 juin 2016 Satire de la bureaucratie obstinée et stérile, film d’aventure burlesque, le second long-métrage d’Antonin Peretjatko est beau comme la rencontre de Jean-Luc Godard (première époque) et de Peter Sellers sur une piste de ski en Guyane.
Mercredi 10 février 2016 Anne Fontaine, qui apprécie toujours autant les sujets épineux et a pris goût aux distributions internationales, en a débusqué un en Pologne : l’histoire de religieuses enceintes après avoir été violées par des soudards soviétiques…
Mardi 9 juin 2015 Bruno Podalydès retrouve le génie comique de "Dieu seul me voit" dans cette ode à la liberté où, à bord d’un kayak, le réalisateur et acteur principal s’offre une partie de campagne renoirienne et s’assume enfin comme le grand cinéaste populaire...
Mardi 17 février 2015 Devant et derrière la caméra, Thomas Salvador relève le défi d’inventer un super-héros français sans perdre de vue les rives du cinéma hexagonal, réalistes et intimistes. Et ça marche !
Christophe Chabert
Mardi 18 novembre 2014 Présenté comme un film sur l’histoire de la French Touch, "Eden" de Mia Hansen-Løve évoque le mouvement pour mieux le replier sur une trajectoire romanesque, celle d’un garçon qui croyait au paradis de la house garage et qui se retrouve dans l’enfer...
Mardi 3 juin 2014 Premier film sous influence Wes Anderson à l’humour doucement acide de Vincent Mariette, où deux frères et une sœur partent enterrer un père/amant devenu un fantôme dans leur vie, pour un road movie immobile stylisé et séduisant.
Christophe Chabert
Mercredi 22 janvier 2014 De Guillaume Brac (Fr, 1h40) avec Vincent Macaigne, Solène Rigot, Bernard Menez…
Mercredi 18 décembre 2013 Un joli film signé Sébastien Betbeder, à la fois simple et sophistiqué, qui raconte des petites choses sur des gens ordinaires en tentant de leur donner une patine romanesque, comme un croisement entre les chansons de Vincent Delerm et celles de...
Jeudi 12 septembre 2013 Un micmac sentimental autour d’un droit de visite paternel le soir de l’élection de François Hollande. Bataille intime et bataille présidentielle, fiction et réalité : Justine Triet signe un film déboussolant dont l’énergie débordante excède les...
Vendredi 7 juin 2013 Premier long-métrage d’Antonin Peretjatko, cette comédie qui tente de réunir l’esthétique des nanars et le souvenir nostalgique de la Nouvelle Vague sonne comme une impasse pour un cinéma d’auteur français gangrené par l’entre soi. Qui mérite, du...