Agnès Varda : « J'ai été photographe, un petit peu… »

Agnès Varda : « J'ai été photographe, un petit peu… »
Cléo de 5 à 7
D'Agnès Varda (1962, Fr-It, 1h30) avec Corinne Marchand, Antoine Bourseiller...

Interview / Avant-gardiste malicieuse, toujours en mouvement — même si, de son propre aveu, elle ralentit sa cadence — Agnès Varda fait coup double à l'institut Lumière avec une rétrospective cinéma et une exposition photo. Petit préambule en forme de conversation.

Avez-vous été associée au choix des films présentés à Lyon ?
Pas du tout ! (sourire) Thierry [Frémaux] n'a pas besoin de moi pour choisir. Qu'y a-t-il comme films ? [elle étudie la liste] Ah, Les Cent et une nuits... Je suis contente qu'ils le montrent : en général, il n'est pas choisi dans les rétrospectives. C'est un film mal aimé ; une sorte d'hommage au cinéma traité avec décalage et humour. Une comédie assez légère, comme une fête foraine ou un carnaval, avec des acteurs éblouissants que je n'aurais pas cru diriger un jour : Gina Lollobrigida, Belmondo, De Niro.... J'avais joué la carte des acteurs, parce que l'idée des auteurs, elle passe chez les cinéphiles mais pas tellement ailleurs. Mais les gens ne l'ont pas compris : on ne me donne pas le droit de faire de comédie !

Peut-être les spectateurs pensaient-ils que vous adopteriez des codes que vous aviez toujours détournés, et que vous cesseriez d'être attentive aux marges de la société...
Vous savez, par mon travail, j'ai acquis une position tout à fait marginale — je suis une championne de la Nouvelle Marge ! (sourires). Dès Cléo de 5 à 7, qui était très radical, je ne faisais pas la même chose que les autres ; j'étais plus préoccupée par la structure de mes films — avant même de m'occuper du scénario. Après, j'ai beaucoup senti ce qui allait se passer sur le plan social parce que j'aime beaucoup les gens. Je n'ai jamais fait de film “chabrolien”, chez les riches ou les nobles ; montrer du doigt la bourgeoisie, ça ne m'intéresse même pas ! Être à l'écoute des autres et des révoltés m'attire plus.

De plus en plus, puisque désormais vous ne tournez plus que des documentaires...
Dans celui que je viens de finir avec JR et que je suis en train de monter, j'ai rencontré un ouvrier lors de son dernier jour, après quarante ans d'usine. Quand il m'a dit : « J'ai beaucoup travaillé, c'est bien de prendre ma retraite, mais c'est comme si j'étais au bord d'une falaise : il faut que je me jette dans le vide », ça m'a serré le cœur... C'est ça que le documentaire permet d'entendre : la réalité de ce jour-là. Et de ressentir la proximité : seize ans après Les Glaneurs et la Glaneuse, je reçois encore dans ma boîte aux lettres des pommes de terre en forme de cœur... Ça vaut tous les prix, tous les César.

Exception faite de vos années TNP, on connaît peu votre œuvre de photographe. Pourquoi ?
Oui, j'ai été photographe, un petit peu, mais bêtement, je n'ai pas fait de livre de photo. Faudrait que je le fasse, un jour (sourire). Pour moi, la photographie, c'est un mystère formidable : que se passe-t-il juste avant et juste après un instantané ? Et le cinéma est fait de milliers de photographies... Quand on se souvient d'un film, on se souvient non pas de mouvements mais de certaines scènes comme des photographies. Ce qu'il y a à la jointure entre les deux me fascine : à quel moment une photographie se met en mouvement pour devenir du cinéma, et comment dans le cinéma, on fixe des choses.

Vos recherches seront d'ailleurs exposées à Lyon...
J'ai pris une seconde dans une scène de Sans toit ni loi, dans la séquence où Sandrine Bonnaire est attaquée par des personnes déguisées ; et au pire de cette violence, j'ai agrandi un photogramme. En arrachant une image d'un film, c'est beau comme de la peinture : on est dans l'abstraction. Je suis émerveillée que l'on puisse faire ça. Je présente aussi des photos de gens qui marchent, dans le mouvement, faites en Chine en 56-57, au Portugal, avec des Gitans... Et puis des visages de cinéma. Il doit y avoir une douzaine de petits portraits assez discrets : Fellini, Jacques Demy, Claude Berri, Anna Karina, Catherine Deneuve... Ce sont des photographies anciennes. C'est amusant, parce que je suis assez âgée pour les montrer.

L'âge ne vous empêche pas de créer des œuvres, films ou installations contemporaines...
J'ai connu le cinéma quand le son magnétique n'existait pas encore — on mixait en négatif optique ; j'ai connu l'artisanat, j'ai fait du cinéma en artisane. Je suis un “vieux truc du cinéma”, je sais que si je meurs, tout est déjà préparé. Et qu'à chaque nouveau film ou nouvelle installation, les journalistes sont obligés d'ajouter une ligne dans ma nécro, j'y pense tout le temps (rires). Je suis beaucoup dans un sentiment de dernière fois — forcément, à mon âge. Mais j'ai des joies qui sont celles de mon métier. Je suis juste un peu plus fatiguée qu'avant. Alors, je me ménage, parce que jusqu'à la fin d'un film, il y a du boulot !

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