Avec Marcher droit, tourner en rond et son narrateur autiste, Emmanuel Venet livre un constat acide et drôle sur... la condition humaine.
Après Rien (paru en 2014), l'écrivain et psychiatre lyonnais Emmanuel Venet se (et nous) projette dans un personnage-narrateur atteint du syndrome d'Asperger. Comme l'indique le titre du roman, le narrateur marche, à rebours de son entourage, droit (dans sa tête), ce qui ne l'empêche pas au final de « tourner en rond » (dans sa tête).
« Pour n'avoir aucune gêne à faire ce que je dis comme à dire ce que je fais, je ne tolère ni les propos trompeurs, ni les cachotteries. En toute transparence, je peux expliquer que je vis avec mon père depuis que ma mère nous a quittés, il y a trente ans cette année, et je me partage entre mes deux passions : le scrabble et les recherches sur les catastrophes aériennes. »
Un sans-gêne de propriétaires
Cette droiture, morale autant que pathologique, donne lieu, dans le livre d'Emmanuel Venet, à des points de vue désopilants sur les démêlées et les fourvoiements hypocrites de l'environnement humain du narrateur. Car notre héros n'a pas seulement pour passions le scrabble et les crashs d'avions, il se passionne aussi pour l'observation et la critique de ses proches...
Ces derniers, selon lui, « habitent le monde avec un sans-gêne de propriétaires et sans mesurer à quel point le monde les ignore. En outre, ils se croient sociables parce qu'ils sont connectés à des légions d'autres esseulés et papillonnent, sans se douter de la vanité des liens qu'ils entretissent avec leurs semblables. Il ne leur vient même pas à l'idée de pousser devant eux, comme Sisyphe son rocher, l'espoir toujours déçu d'une rencontre vraie et d'une parole pleine : ayant tôt compris que le temps avance pour eux, ils se laissent mener en roue libre vers la maladie qui justifiera leur faillite, la vieillesse qui leur fournira des alibis, le testament par quoi ils confieront à la génération suivante le soin de prolonger le processus, et in fine les funérailles qui les grimeront en humanistes et en croyants vertueux. » Un roman sans concession et, souvent, très drôle.
Emmanuel Venet, Marcher droit, tourner en rond (éditions Verdier)