"Moi, Daniel Blake" : une couronne pour le Royaume des démunis

Moi, Daniel Blake de Ken Loach / Lorsqu'un État fait des économies en étouffant les plus démunis, ceux-ci s'unissent pour survivre en palliant sa criminelle négligence. Telle pourrait être la morale de cette nouvelle fable dramatique emplie de réalisme et d'espérance, qui vaut à Ken Loach sa seconde — méritée — Palme d'Or.

Avec sa bouille de Michel Bouquet novocastrien, Daniel Blake a tout du brave type. En arrêt maladie après un accident cardiaque, il doit sacrifier aux interrogatoires infantilisants et formatés de l'Administration, menés par des prestataires incompétents — l'État ayant libéralisé les services sociaux —, pour pouvoir reprendre son boulot ou bénéficier d'une allocation. Assistant à la détresse de Katie, mère de famille paumée rabrouée par une bureaucrate perversement tatillonne, Daniel s'attache à elle et l'épaule dans sa galère, cependant que son cas ne s'améliore pas.

Tout épouvantable qu'il soit dans ce qu'il dévoile de la situation sociale calamiteuse des plus démunis au Royaume-Uni (merci à l'administration Cameron pour ses récentes mesures en leur défaveur), Moi, Daniel Blake se distingue par sa formidable énergie revendicative positive, en montrant que les “assistés” n'ont rien de ces profiteurs cynique mis à l'index et enfoncés par les Tories. Ils font preuve d'une admirable dignité face à l'incurie volontaire de l'État, refusant le piège de la haine envers le plus faibles qu'eux — le facile pis-aller de la discrimination à l'intérieur du lumpenproleriat —, pratiquant plutôt naturellement les vertus de l'entraide inconditionnelle.

Voyez la séquence à la banque alimentaire, où Katie en larmes culpabilise de s'être ruée sur des baked beans après des jours de privations : moment terrible devenant bouleversant d'humanité lorsque la jeune femme est réconfortée par des bénévoles habitués (hélas) à ce genre d'épisode — un peuple de l'ombre soutenant les victimes des ronds-de-cuirs imbus de la mesquinerie discrétionnaire octroyée par Westminster.

Loach en remet une louche

Comme Raining Stones (1993), The Navigators (2001) ou It's a Free World ! (2007), Moi, Daniel Blake dépeint au plus près la situation des victimes supplémentaires du libéralisme. On aurait grand tort de prendre avec condescendance ce nouveau film, voire de reprocher à Loach de rabâcher : en enfonçant son clou, il offre une réplique légitime aux méfaits de la politique destructrice initiée par Margaret "Tina" Thatcher et ses héritiers.

Ses personnages sont des individus distincts, moteurs d'histoires particulières et traités avec un respect sincère. Et puis, ce qui advient outre-Manche nous parvenant en général tôt ou tard, Loach, loin d'être un Cassandre, devrait être perçu autant comme lanceur d'alerte qu'artiste. Un auteur politique qui accomplit concomitamment une œuvre magistrale de cinéaste, de citoyen. Et d'humain.

Moi, Daniel Blake de Ken Loach (G-B-Fr-Bel, 1h39) avec Dave Johns, Hayley Squires, Dylan McKiernan... (sortie le 26 octobre)

à lire aussi

vous serez sans doute intéressé par...

Jeudi 11 octobre 2012 Pour avoir suivi de près les trois premières éditions de Lumière, on sait d’expérience à quel point le choix de la personnalité pour recevoir le Prix Lumière influe (...)
Jeudi 12 juillet 2012 Après trois semaines de suspense, c’est finalement le réalisateur anglais, chef de file d’un cinéma social plus noué qu’on ne le croit, qui se verra décerner le quatrième Prix Lumière en octobre prochain. Christophe Chabert
Mercredi 23 octobre 2024 Conte de fées 2.0, moral et désenchanté, Anora acte la nouvelle montée en puissance d’un réalisateur qui entre définitivement dans la cour des grands, révélant au passage une actrice étourdissante, Mikey Madison. Une superbe Palme d’or !
Samedi 19 août 2023 Autopsie de la déchirure d’un couple et d’un fait divers sous le regard aveugle de la justice ainsi que d’un enfant malvoyant, Anatomie d’une chute est un film de procès où le son joue un rôle capital. Une bonne raison d’écouter la parole de Justine...
Mardi 15 octobre 2019 Pour s’en sortir, un intérimaire se lance dans l’entrepreneuriat franchisé avec l’espoir de s’en sortir… précipitant sa chute et celle de sa famille. Par cette chronique noire de l’ère des GAFA, Ken Loach dézingue toujours plus l’anthropophagie...
Mardi 8 octobre 2019 Des films par dizaines, des projections par centaines, des invités… par milliers ? Peut-être pas, mais suffisamment pour que chaque spectatrice ou (...)
Mardi 3 septembre 2019 Francis Ford Coppola, Bong John Ho, Ken Loach, Daniel Auteuil et Marina Vlady ne seront pas seuls à visiter les salles obscures lyonnaises en octobre prochain : Frances McDormand, Donald Sutherland, Marco Bellocchio, Gael Garcia Bernal ou Vincent...
Mardi 9 janvier 2018 Farce déglinguée convoquant une famille au bord de l'implosion et un Presley ressuscité, La Cuisine d'Elvis est un terrain de jeu idéal pour l'acteur et metteur en scène Pierre Maillet. De quoi commencer la saison avec une des plus belles réussites...

Suivez la guide !

Clubbing, expos, cinéma, humour, théâtre, danse, littérature, fripes, famille… abonne toi pour recevoir une fois par semaine les conseils sorties de la rédac’ !

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X