La récente disparition du chef-opérateur Raoul Coutard, deux ans après celle du vénérable compositeur Antoine Duhamel, poursuit l'inexorable dépeuplement de l'affiche de Pierrot le Fou. Un paradoxe pour ce film dont l'une des incommensurables particularités est d'arracher au néant primitif pour son générique de début les noms de sa distribution, lettre après lettre et dans l'ordre alphabétique.
Fantaisiste, bohème, contestataire et désinvolte, comme seuls peuvent se le permettre les fils de famille, Godard s'offre ici sa dernière récréation digeste, son ultime moment d'enfance véritable et de poésie colorée. Son regard est encore celui d'un bébé admiratif des dinosaures (ici, Sam Fuller), d'un homme amoureux de son actrice et ex-épouse (ici, Anna Karina). L'appel de la politique se fait plus pressant, mais l'heure n'est pas encore à la dialectique maoïste : il manifeste une ironie distante (OAS est maquillé en OASIS), succombe aux charmes de l'aventure comme à la tentation de la comédie musicale : trois ans avant Mai-68, et deux avant La Chinoise, JLG se défend de s'interdire quoi que ce soit.
Alors il entraîne Ferdinand (Belmondo), type mal marié et fossilisé dans sa vie bourgeoise vers l'inconnu, au bras de Marianne qui le surnomme “Pierrot”. Une course mâtinée de passion, de citations, d'ennui, de rires et de dynamite. Une course à l'abîme-bam-boum. Destructurée. Hâchée. Avec. Des. Bandits. Et puis. De l'amour. Encore. Enveloppée par les mélancoliques volutes de cordes d'Antoine Duhamel, cette balade sans retour reste un des plus beaux (et des plus désespérés) éloges de la liberté filmés.
Pierrot le Fou
À l'Institut Lumière les vendredi 2 décembre à 19h et dimanche 4 à 14h30