Lukas Zpira : s'engager par le corps

body hacktivisme / Fondateur et maître à penser du body hacktivisme, Lukas Zpira revient en quelques questions sur les fondements de son mouvement. Des influences d'hier aux questions de demain, notamment celles posées par le transhumanisme, il évoque son art sous toutes ses coutures.

Comment, sous l'impulsion de Riyochi Maeda *, en êtes-vous venu à créer le body hacktivisme ?
Lukas Zpira : Jusqu'au début des années 2000, les pratiques de modifications corporelles étaient mal définies, mal comprises. Peu de personnes percevaient vraiment l'importance des questions que ces pratiques soulevaient — aussi bien au niveau du rapport social au corps (de par l'aspect transgressif) que du point de vue prospectif de ces pratiques (de par la démystification de ce corps).

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Nous étions simplement jugés avant d'être compris, presque personne ne se posant les bonnes questions. Je passais de plateaux télé en interviews, devant me justifier et répondre à des attaques absurdes par rapport à ma démarche avant même de pouvoir l'expliquer... Ou bien, on essayait de faire de moi le freak de service. Je n'étais pas le seul à subir ceci.

J'ai donc arrêté de parler à la presse et j'ai commencé à poser mon propos sous la forme de manifestes. Beaucoup de personnes qui ne pratiquaient pas les modifications corporelles avançaient sur des réflexions parallèles aux nôtres. Il est devenu important de sortir du ghetto dans lequel on essayait de nous mettre, de nous ouvrir à un champ de réflexion commun. J'ai rencontré Riyochi Maeda à Tokyo en 2001. Il m'a suggéré l'idée d'un mouvement et m'a proposé d'en définir les bases.

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Nous ne sommes ni dans l'utopie, ni dans la dystopie, mais essayons simplement de comprendre et de mettre à jour les paradoxes auxquels nous allons devoir faire face.

La science-fiction, les mangas et la bande dessinée sont des genres qui ont beaucoup influencé votre réflexion autour du body hacktivisme.
Notre imaginaire se nourrit de plus en plus de ce que l'on appelle la pop culture. J'ai grandi à travers ces univers. Le personnage de RanXerox me parle beaucoup par son côté D.I.Y., à la fois naïf et puissant, son imperfection aussi. Mais ce sont des œuvres comme Ghost in the Shell bien sûr, qui portent en elles tout ce questionnement métaphysique lié à notre envie d'échapper aux faiblesses de notre humanité, qui m'ont beaucoup influencé. Je peux aussi citer Philip K. Dick et d'autres auteurs de SF.

D'un point de vue sémiologique, le choix du terme hacktivisme est très fort. Dans la langue française, le mot activisme est lié à la politique, aux actions du peuple en tant que groupe social. Le body hacktivisme est bien plus que de l'art, finalement. Peut-on parler d'une philosophie politique ?
Tout à fait. Nous nous posons devant des choix très forts sur le devenir de notre humanité et nous sommes face à des enjeux d'envergure que nous avons du mal à percevoir, sur lesquels nous n'avons que très peu de contrôle. D'autres le prennent. Le body hacktivisme se pose clairement dans ce flou, face à une certaine forme d'ignorance qui fait de nous des animaux de laboratoire. Nous ne sommes ni dans l'utopie, ni dans la dystopie, mais essayons simplement de comprendre et de mettre à jour les paradoxes auxquels nous allons devoir faire face.

L'humain de demain, c'est le nouvel Eldorado.

L'avenir de notre corps appartient de plus en plus à de grandes entreprises (Calico, la firme pharmaceutique de Google, entre autres). Ray Kurzweil a même déclaré qu'il voulait combattre la mort. Est-ce que le body hacktivisme ne lutterait pas contre les dérives de ce grand mouvement qu'est le transhumanisme ?
Lutter est un bien grand mot et nous n'avons pas les moyens de Google, mais nous semons la graine d'une nouvelle forme de réflexion face à ces volontés de changer l'homme — la question n'est même pas de savoir quand, c'est déjà en train de se faire, mais de savoir comment : il ne sera qu'une coquille vide si les consciences ne changent pas. Les enjeux économiques sont phénoménaux. L'humain de demain, c'est le nouvel Eldorado.

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C'est aussi une expérience de darwinisme social sans précédent à laquelle participent des compagnies comme Google, des gens comme Ray Kurtweil et de manière générale une grosse partie du mouvement transhumaniste. Non, le body hacktivisme n'est pas une forme de transhumanisme, mais cela ne nous empêche pas d'en partager certaines préoccupations et de nous intéresser à ce qu'ils font. Car tout n'est pas à juger de façon binaire. Je pense que tout le monde détient un peu de vrai et de faux, trop d'espoir d'un côté et trop de peur de l'autre.

Je ne suis juste pas certain que tout le monde agisse dans l'intérêt commun, ait de bonnes intentions. Nous ne voulons pas finir en victimes, c'est tout. Nous posons juste des questions qui nous semblent être essentielles et ouvrons une nouvelle forme de débat.

Vous dites que le body hacktivisme n'inclut pas la nécessité d'être modifié. Comment se traduit-il autrement que par la modification ?
Nous sommes bien placés pour savoir qu'il ne faut pas se fier aux apparences, tout simplement. Le body hacktivisme se place avant tout sur le champ des idées, auxquelles il suffit d'y joindre l'action.

Arm Aber Sexy feat. Lukas Zpira
Au Transbordeur dans le cadre de Only Porn le samedi 17 décembre
+ rencontre au Lavoir Public le dimanche 18 décembre (sous réserve)

* Riyochi Maeda est un journaliste et photographe japonais qui a couvert la scène underground de son pays (tattoo, piercings, fetish, modifications, etc). Il est connu pour son travail dans le magazine Burst.

Body hacktivism : Les body hacktivistes pratiquent, théorisent et inventent des modifications corporelles avant-gardistes et prospectives, influencées par la culture manga, la bande dessinée, les films et la littérature de science-fiction.

Pour suivre Lukas Zpira : blowyourmind-production.com

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