Cinémas de proximité : par ici la sortie ?

Ecrans à cran / Nouvelles concurrences, aides indirectes sabrées : la nouvelle année a un goût des plus saumâtres pour les cinémas indépendants. La fin d’une époque ? Espérons que non !

Les excellents chiffres de la fréquentation pour 2016 (213 millions de spectateurs !) claironnés par la Fédération nationale des cinémas français, méritent d’être examinés avec attention : ce “deuxième meilleur résultat depuis 1966” a été conquis grâce à un nombre record de films (700 !!) projetés sur plus de 5 600 écrans, c’est-à-dire le parc le plus important d’Europe. Mais pour combien de temps encore ? Au pays de l’exception culturelle, et en particulier dans la Métropole lyonnaise, cette richesse globale d’équipements n’est pas uniforme : deux grands systèmes complémentaires d’exploitation cinématographique cohabitent.

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D’un côté, les réseaux (Gaumont-Pathé, UGC, CGR, Mégarama…), implantant depuis une vingtaine d'années force multiplexes dans les périphéries ou les zones commerciales ; de l’autre, des cinémas indépendants, vestiges des salles de patronage ou municipales, portés par de petits exploitants ou des associations, fédérés en regroupements (GRAC, Acrira…), partiellement subventionnés par l’Europe, l’État et les collectivités locales. Vecteurs d’une programmation volontiers alternative (mariant cinéma grand public et art et essai), ces derniers possèdent une identité forte : ils organisent des festivals réputés pour favoriser l’émergence et ont su tricoter depuis des décennies un réseau de proximité dynamique, en travaillant au quotidien sur l’éveil à la culture et l’accès à la citoyenneté. D’authentiques missions de service public.

Vecteurs d’une programmation volontiers alternative, ces cinémas possèdent une identité forte : ils favorisent l’émergence en travaillant au quotidien sur l’éveil à la culture et l’accès à la citoyenneté.

Mais leur équilibre économique demeure précaire dans un environnement déjà tendu, où « la domination des grands groupes sur la filière du cinéma fausse la concurrence » prévient l’avocat Pierre Kopp, auteur d’un rapport alarmant, Le cinéma à l’épreuve des phénomènes de concentration. Menaces sur la filière indépendante du cinéma français. Une situation que les élus semblent ne pas trouver si préoccupante. Jadis prompts à soutenir la place des salles indépendantes sur leurs territoires, ceux-ci donnent à présent l’impression de vouloir leur tourner le dos, dans un parfait ensemble.

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Nouvelles salles, sales nouvelles

Siégeant parmi les membres de la Commission départementale d'aménagement commercial (CDAC) statuant sur l’implantation de nouveaux multiplexes à l’intérieur ou autour de la Métropole, ils ont eu à instruire ces derniers mois une efflorescence de propositions, défendues comme créatrices d’emplois et de taxe professionnelle. Une vision idyllique des choses, qui omettait cependant de considérer l’environnement existant. Et la mobilisation des réseaux. À Givors, Megamara prévoyait sept salles et 1 300 fauteuils pour 2018 ; le cinéma de Rive-de-Gier a porté recours au national, cette ouverture étant susceptible de le déstabiliser, voire de le condamner comme d’autres indépendants (Mornant…). L’Amphi de Vienne et le CGR de Brignais s’y sont joints… et l’ont emporté face à Megarama — Megarama qui présentait également un projet de neuf écrans à Saint-Bonnet-de-Mure retenu par la CDAC, mais que le GRAC va contester.

À Saint-Maurice-de-Beynost, c’est la CDAC qui a repoussé (malgré les voix du maire et du président de la communauté de communes) le projet d’un CGR de dix salles pour 2017. Épargnant les petits indépendants locaux, et évitant (pour l’instant) une guerre des grosses enseignes en empiétant sur la zone de chalandise du Pathé Carré-de-Soie, premier site d’Auvergne-Rhône-Alpes avec ses 1, 2 millions d’entrées.

Le groupe CGR continuera de se consoler hors Métropole : après son site de Brignais, il ouvrira bientôt dix salles et 1878 fauteuils à Villefranche-sur-Saône, au grand dam du Rex et des 400 Coups. Enfin, à Lyon intra muros, le seul gros projet validé concerne l’extension de l’UGC à la Part-Dieu : d’ici 2020, dans le cadre du réaménagement du centre commercial, l’enseigne passera de quatorze à dix-huit salles sur un seul site, en lieu et place du parking de toit tout juste fermé.

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Coupes sèches

Installé depuis pile un an à la tête de l’exécutif régional, Laurent Wauquiez ne s’est pas fait que des amis dans le monde de la culture — les franches huées l’accueillant Halle Tony-Garnier lors de l’ouverture du dernier Festival Lumière répondaient sans doute à ses déclarations intempestives à destination des intermittents du spectacle. Se saisissant du bien commode prétexte de la rigueur budgétaire, le néo-président a ainsi opéré dans les attributions de subventions des arbitrages ne laissant pas de stupéfier son opposition, comme sa majorité. Le monde du cinéma n’a pas été épargné. On connaissait déjà la situation des festivals LGBT (Face à Face à Saint-Étienne, Vues d’En Face à Grenoble, Écrans Mixtes à Lyon), privés du jour au lendemain d’un accompagnement régional de longue date, « en raison des critères d’éligibilité et du nombre de demandes proposées » ; certains exploitants ont eux aussi été poignardés. “Gratuitement”, si l’on ose dire…

La dèche pour la Duch’

En guise de “cadeau” pour célébrer ses vingt années d’existence, le CinéDuchère (Lyon 9e) a eu la mauvaise surprise en 2016 de voir s’envoler 20 000€ accordés au titre de la politique de la Ville, soit 10% de son budget annuel — en l’occurrence une subvention, créée il y a dix ans par l’État mais reprise depuis par la Région. « Nos résultats sont à l’équilibre, toujours à la limite du déficit, notait avec amertume Emmanuelle Bureau la directrice du monoécran lyonnais, qui couvre 45% de son budget grâce à ses recettes. On a assaini, on a un emploi aidé comme projectionniste à temps partiel, ce qui nous permet de tenir chaque année notre cinéma à bout de bras. On peut y arriver encore pendant un ou deux ans, mais au-delà ? ». Si pour 2016, la Ville de Lyon lui a promis oralement son engagement, rien ne garantit pour le moment ce soutien, ni sa pérennité.

Coups de bambou en cascade

Parmi les autres victimes de ces restrictions drastiques figure encore le GRAC (Groupement régional d’actions cinématographiques) avec une perte de 7 000€ sur le dispositif RMCM (Réseau Médiation Cinéma M’ra), visant à “accompagner les salles de cinéma partenaires carte M’ra dans le développement de leurs actions de médiation en direction des jeunes“. Une aberration au moment précis où Frédérique Bredin, la présidente du CNC vient de s’engager à « soutenir les salles Art et Essai afin de développer et de renforcer l’animation culturelle dans les cinémas, en les aidant à financer des emplois de médiateurs pour attirer le public, notamment les plus jeunes, faire découvrir aux spectateurs la diversité du cinéma », rappelant au passage que « le cinéma, dans de nombreuses petites villes et de communes rurales, est aujourd'hui le seul, l'unique lieu culturel qui existe. »

le cinéma, dans de nombreuses petites villes et de communes rurales, est aujourd'hui le seul, l'unique lieu culturel qui existe.

À travers le GRAC, ce sont les plus petites salles qui se trouvent assommées et menacées à plus ou moins brève échéance. Car cette association hyperactive fédérant plus d’une centaine d’exploitants indépendants majoritairement implantés en Rhône-Alpes et pesant tout de même 3 millions de spectateurs par an, permet à des opérateurs isolés de bénéficier de la puissance d’un réseau. L’union faisant la force, les adhérents obtiennent pour leurs spectateurs, quelle que soit leur localisation, des projections dans les mêmes délais que les grands circuits commerciaux. Maillant le territoire sans entrer en concurrence, ces “petits” exploitants tirent parti de cette forme de partenariat. L'entraide conditionne la survie, surtout quand la visibilité se restreint. Avouez qu’avoir du mal à se projeter dans l’avenir tient du comble pour un cinéma. Si ce n’était pas si tragique, on en rirait presque…

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