Littérature / Un escroc anéantit un village et ses habitants. Sur ses terres de Bretagne, Tanguy Viel invente un drame social et ausculte la toujours vivace et forcément féroce lutte des classes.
C'est encore la période du franc, certes finissant. François Mitterrand est une figure qui n'appartient pas qu'aux livres d'Histoire. Son arrivée au pouvoir, le 10 mai 1981, revêt une double importance pour Martial Kermeur : la gauche prend enfin la tête de son pays, et son fils Erwan voit le jour.
Fidèle à sa Bretagne d'origine, c'est de la rade de Brest que l'écrivain Tanguy Viel regarde la France via ses protagonistes, dans ce qu'il reste d'un XXe siècle qui a salement amoché son Kermeur, licencié avec une kyrielle d'autres de l'arsenal. La rigueur n'enraye pas le déclin économique, ni la cupidité des manipulateurs. Antoine Lazenec, prétendu sauveur d'une bourgade voisine, va investir pour transformer la colline donnant sur la mer en un complexe immobilier, pire « une station balnéaire » et comme le remarque Kermeur, « le château, cette chose qui avait appartenu à tout le monde pendant trois siècles, maintenant c'était la propriété d'un seul. » Mais pour l'instant, ce n'est qu'une maquette que chacun applaudit aveuglément.
Vents contraires
Tanguy Viel construit sa narration comme un long travelling arrière avec épilogue au commencement : Lazenec a été jeté à l'eau par Kermeur, qui s'explique face au juge d'instruction au cours d'une déposition écrite dans un langage oral, constamment juste, tout au long des 174 pages qui se lisent d'une traite ; ou presque.
Ce n'est pas cette conclusion tragique qui, comme dans le très bien ficelé dernier Goncourt (Chanson douce de Leïla Slimani), intéresse l'écrivain mais le poids des absences, des vides que la société crée et fait porter à ce chômeur de 50 ans, divorcé, en charge d'un fils ; lequel bien sûr ne veut pas ressembler à ses parents. Les apparences finissent par envahir l'espace réel, et une Porsche par asseoir un homme dont les projets sont construits sur du vent.
Sans grands effets ni génie, mais avec une efficacité remarquable et un sens du rythme maîtrisé, Tanguy Viel livre un récit violemment politique, démontrant que la justice des hommes mêlée à l'humanité de certains peut encore contrer la bassesse des autres. Une victoire de l'intelligence bienvenue au début de cette année, qui pourrait cruellement en manquer.
Tanguy Viel, Article 353 du code pénal (Minuit)
À la librairie Passages le jeudi 26 janvier