Jacotte Brazier : l'héritière

Portrait / Sa grand-mère Eugénie – la fameuse Mère Brazier – fut l’une des plus célèbres cuisinières de la gastronomie française, couronnée de trois étoiles dans ses deux restaurants, en 1933. Jacqueline Brazier, Jacotte pour ses amis, entend préserver son patrimoine culinaire et sa mémoire à travers l’association qu’elle a créée, Les Amis d’Eugénie Brazier, qui fête ses dix ans.

Elle nous reçoit chez elle, à la Croix-Rousse, rouge aux lèvres, yeux rieurs et sourire jusqu’aux oreilles. Elle nous sert un thé dans sa cuisine où elle ne cuisine jamais – ce qu’elle aime avant tout, « c’est goûter » –, nous enjoint de jeter un œil aux photos de chasse de son père Gaston – « il adorait chasser avec son ami Paul Bocuse » – et se désole que la statuette d’Eugénie Brazier que l’écrivain Frédéric Dard lui a offert, vienne tout juste de se casser : « ce n’est pas grave, je la recollerai, elle a le cuir dur, ma grand-mère. »

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Jacotte, 73 ans, a mille idées à la minute, des bons plans improbables – la bière est bien plus saine et économe qu’un spray coiffant classique pour faire tenir des boucles –, un débit kalachnikov à faire pâlir un acteur de la Comédie française et s’amuse de tout. L’accoucheur, lors de sa naissance le 23 novembre 1943 un mois avant terme avec « une jaunisse du diable », avait prévenu : « si elle vit, elle aura une santé de fer ». Et une énergie d’enfer.

L’école de la vie

Dans les années 20, sa grand-mère Eugénie Brazier tient deux restaurants : un au col de la Luère, et un autre au 12 rue Royale (la fameuse Mère Brazier, aujourd’hui aux mains du chef Mathieu Viannay), qui obtiendront tous deux trois étoiles au fameux guide rouge. Elle engage très vite Paul Bocuse « parce qu’il n’était pas fainéant et qu’il avait grimpé le col de la Luère en vélo » puis Carmen, la maman de Jacotte. « Parce qu’elle avait le permis, rare pour l’époque. Ma grand-mère avait décidé qu’elle deviendrait sa belle-fille. Heureusement, mon père est tombé amoureux de ma mère... »

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Jacotte naît deux ans après leur mariage. Elle est pleine de vie, a un caractère bien trempé et rigole tout le temps. « Je me souviens encore de la première fois où j’ai vu Jacotte. C’était à l’école, en 6ème, elle est arrivée avec ses petits cheveux roux et courts, ses lunettes et son large sourire. Elle nous a tout de suite fait rire. C’était notre rayon de soleil, elle contrastait avec nous toutes, qui avions une éducation stricte. Elle aimait faire rire, raconter des tas d’histoires. » raconte Fafa, sa grande amie.

« Mon père et ma grand-mère ne m’ont jamais mis dans une cuisine, ils préféraient que je fasse des études. »

À la fin de la guerre, Eugénie se concentre sur le restaurant du col de la Luère et laisse les parents de Jacotte s’occuper de la Mère Brazier. La petite-fille a beau baigner dans l’univers de la gastronomie, ce qui l’intéresse le plus, c’est l’hôtellerie. « Mon père et ma grand-mère ne m’ont jamais mis dans une cuisine, ils préféraient que je fasse des études. » Elle réussit l’école hôtelière de Lausanne, écume les stages et voyage dès qu’elle le peut.

Aux Iles Canaries, elle aide un ami coiffeur à monter les mises en pli dans son salon, le temps de trouver un stage en hôtellerie. Chose faite, mais son père la somme de revenir au bercail « pour faire le tampon. Mon père était joli garçon et un peu volage. Ça ne dérangeait pas ma mère, dont l’amant n’était autre que le restaurant. Elle lui vouait une passion sans faille. Mes parents s’engueulaient souvent, je suis revenue pour les aider et m’occuper d’eux. »

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Elle aide en salle, bouche les trous, fait les tartines, vends les huitres… Et confie des anecdotes aux clients. « Elle adorait leur raconter des histoires plus ou moins osées, son père s’empressait de l’arrêter pour finalement les raconter lui-même après » se remémore Fafa. Le week-end, elles filent ensemble à Megève, jouent dans l’équipe féminine de curling qu’elles ont elle-même créées et deviennent vice-championnes de France.

« J’étais un panier percé, je dépensais tout ce que je gagnais. »

Avec sa première paie, elle s’achète le fameux Kelly d’Hermès. « J’étais un panier percé, je dépensais tout ce que je gagnais. » En 1974, son père meurt. Elle file chez Paul Bocuse, son « mentor », lui demander conseil. Il l’encourage à continuer. « Je me demande si je n’aurais pas aimé qu’il me dise d’arrêter » sourit-elle. En 2003, lorsque sa mère décède, Jacotte souhaite vendre. « C’est invendable » lui répond Paul Bocuse. Le restaurant est situé dans une rue peu passante et il n’y a pas de parking. Elle finira par se défaire de la Mère Brazier en 2004. Le couple qui l’acquiert le fait baisser en gamme. Vendu aux enchères pour une bouchée de pain, Mathieu Viannay rachètera le fonds de commerce en 2008. « Je suis ravie qu’il ait repris les rênes. »

Une association hommage à l’illustre Mère

Une fois le resto mythique vendu, Jacotte voyage et prend du temps pour elle. « J’ai fait tout ce que je n’avais pu faire avant, ma valise et ma brosse à dents étaient toujours prêtes à partir. » Un passage de six mois en tant que secrétaire générale à la Fondation Paul Bocuse, un conseil de Jean-François Mesplède et l’aval de Paul Bocuse plus tard, elle décide de créer une association en hommage à sa grand-mère mythique et mettant à l’honneur les femmes.

« On ne dit ni "bon appétit" ni "bonne continuation" et on ne croise jamais ses couverts dans l’assiette ! »

En 2007, l’association Les Amis D’Eugénie Brazier naît. Son dessein : remettre des bourses d’études à de jeunes filles méritantes en école de restauration et des prix littéraires à des femmes ayant écrit des ouvrages concourant à la transmission d’un patrimoine culinaire. Entre deux voyages avec Fafa, un couscous au Bon Beurre chez Jamil, un plat maison dans son restaurant fétiche Le Canut et les Gones et un p’tit noir au Café Bellecour, elle présélectionne avec minutie les ouvrages culinaires qui concourront au prix, anime des bavardages sur l’histoire d’Eugénie Brazier en maison de retraite et organise des tables-rondes où elle apprend « le savoir-être » à de jeunes élèves.

« On ne dit ni "bon appétit" ni "bonne continuation" et on ne croise jamais ses couverts dans l’assiette ! » Jacotte dit ce qu’elle pense. Toujours. « Elle s’intéresse véritablement aux gens. Si elle aime, elle le dit. Si elle n’aime pas, elle le dit aussi. Mais toujours avec bienveillance. » conclut son amie Laurence Renaudin.

Les Amis d’Eugénie Brazier
1 rue Eugénie Brazier, 1er

Tél. : 06 20 58 34 78

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