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Malick Fadika, l'audacieux

Day 1

La Marquise

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Portrait / Alors qu'il lance son nouveau festival, Transfer, Malick Fadika revient sur le chemin qu'il s'est tracé depuis son plus jeune âge. Bookeur d'artistes : une remise en question perpétuelle. Surtout quand on a The Fall dans son catalogue.

Quand Malick Fadika va à la mairie inscrire son fils à la crèche, il note comme métier : "tourneur". Pour l'administration, il est devenu... tourneur fraiseur. Sa profession reste une énigme pour le grand public : non, il ne fait pas tourner Johnny Hallyday ! Malick fait partie de ces hommes de l'ombre qui se démènent pour mettre en lumière les artistes de demain. Depuis 2006, il gère les tournées d'artistes rock indie et électro au sein de Loud Booking, l'agence co-fondée avec sa compagne, Céline.

Au Transbordeur cette semaine, il lance la première édition du festival Transfer (avec Mediatone) : une nouvelle étape, reliant les deux univers musicaux qu'il affectionne. Pour en arriver là, il a osé. Et beaucoup observé.

Dans le walkman, Beastie Boys

Son enfance est baignée à la sauce rock, façon Hendrix : son père en était fan. « Tous ces trucs, j'aimais pas à la base » dit-il. Vers 14 ans, les guitares deviennent pourtant une évidence, au détriment du disco en vogue. Si la musique africaine berce ses premières années, il en garde un lointain souvenir. Le seul qu'il cite, c'est Alpha Blondy ; Ivoirien, comme lui.

Né en Côte d'Ivoire, Malick part à 4 ans en France. À 12 ans, il tentera bien de revenir dans ce pays d'origine qu'il idéalisait... Mais sa vie se trouve déjà dans l'Hexagone, aux côtés de ses copains et de sa tante, qui s'occupe de lui. Il a ce plaisir simple d'acheter ses 45 tours au marché de Fontenay-Aux-Roses. Son premier ? Images. Trois ans lui suffisent pour passer du top 50 au hip-hop : son walkman Sony bleu fait tourner la première cassette des Beastie Boys, plus rien ne sera pareil.

Côté scolaire, c'est strict, en pension dans un établissement privé catholique, à Clamar. Seul Noir et de confession musulmane, cela n'a jamais été un problème – malgré la pression de la réussite – jusqu'à aujourd'hui, en étant l'un des très rares bookeurs black.

S'il lui est difficile de se rappeler de la chronologie des évènements (il lui faut relire son premier bail pour connaître la date de son arrivée à Lyon, en 2001), le concert mythique de Public Enemy en 1988 au Globo est ancré dans sa mémoire. Ses amis dans l'organisation le font entrer avec ses potes. Sans tickets. La nostalgie d'une mixité autour du vestiaire hip-hop fait surface :

« Les 501 hyper larges, les Weston, les Adidas... T'as beau être riche ou pauvre, en cité, on était tous pareils. »

Pas de graff', ni de fumette ou de bagarres. Avec ses potes, la musique, c'est tout ce qui compte. Le père de l'un d'eux ouvre Karamel, le premier distributeur de vinyles indé de Paris. « Tous les DJs de l'époque allaient se servir chez lui. On avait cette chance d'arriver et de dire, qu'est-ce qu'on ouvre aujourd'hui ? » Le papa collectionne 30 000 vinyles : l'appel de la fête et l'envie d'enrichir ses 40 francs de poche hebdomadaires deviennent pressants, à 17 ans... Malick et sa bande organisent des soirées payantes les week-ends où l'appartement est vacant. Succès immédiat. Il empoche sa maitrise de droit, sans se projeter tout de suite vers la musique, jugée comme du divertissement – donc inconvenable.

Aux Bains, David Guetta

Cet intrépide ne s'en éloigne pas pour autant. Encore étudiant et sans aucune notion d'argent, il débuta son épopée au Divan du Monde, en invitant les réputés Gilb'R (Radio Nova) et Otis dans deux soirées drum&bass. Les problématiques d'aujourd'hui ne se posaient pas : « Quand j'appelais un DJ, il jouait. Tout était simple et évident », affirme-t-il. Son rapport avec les salles est aussi un jeu d'enfants : il peut se décider la veille, passer quelques coups de fil... comme pour une soirée avec Jef K.

Pour la communication, l'aide de Christophe Vix alors directeur d'antenne à Radio FG est cruciale. Il s'attache à son cas singulier : « c'était alors atypique de voir un Noir aller chez FG parler de DJs, avant de finir au Rex Club ou aux Bains Douches. »

L'aventure prend de l'ampleur quand ses soirées drum&bass au Divan du Monde sont repérées dans Paris. Sa meilleure amie le met en contact avec le patron de l'Élysée Montmartre, où il organisera des soirées pendant un an. En parallèle, son réseau s'étend grâce aux copains des labels : « Je bossais beaucoup avec Alexandre Cazac (chez PIAS, aujourd'hui InFiné). Ce sont des gens qui ont besoin de faire la promotion de leurs artistes », comme Armand Van Helden, qu'ils font venir pour la première fois en France.

Nous sommes en 1996, c'est le début des Respect au Queen : « Les rois de la com' et du business, face à un mec foutraque qui faisait des trucs avec des mecs encore plus foutraques ! »

À ce rythme, les mésaventures ne surprennent pas. Au Divan du Monde, le directeur de l'époque ne l'a jamais payé – il en garde un souvenir amer : « J'avais fait venir un gros DJ. La salle était blindée, je me suis fait entuber. »

Il passe ensuite deux ans chez Salam Aleikum, qui manageait des groupes français comme FFF, époque Hôpital Éphémère. Malick s'installe en parallèle aux Bains Douches, grâce au couple Guetta, directeurs artistiques du club. « David était prêt à dépenser pour un artiste. Il voulait un lieu où tout le monde se retrouve », dit-il avant de préciser : « Ses premiers pas en tant que compositeur c'était avec nous, quand on lui a présenté Phunky Data. » Il se remémore les dîners d'avant-soirée :

« Quand j'ai fait venir Armand Van Helden, tous les gros DJs d'aujourd'hui étaient à la même table, dont les Daft Punk, qui dansaient sur la piste jusqu'à 6h du mat'. Ils étaient tous copains. »

Ses trois résidents aux Bains – Pedro Winter, Maud de Scratch Massive et Ariel Wizman, se chargeant de faire bouger ce beau monde.

S'ensuivent dix ans au Rex Club avec les Divine – aux côtés des Wake Up de Laurent Garnier, qui resteront dans les annales grâce, déjà, à cette mixité entre rock et électro. Quand Céline, sa compagne et collaboratrice, lui rappelle que ces soirées ont tourné dans toute la France, il s'étonne joyeusement de sa mémoire capricieuse : « Tu vois, j'ai même oublié ça ! ». Les années et les lieux s'évaporent, les anecdotes et les personnes restent.

Au Zénith, Rodriguez

Cette liberté et cette proximité avec les artistes existent moins, aujourd'hui. Les évènements s'accumulent, certains tourneurs aveuglés par le gain rendent les rapports mécaniques. Lui continue de tisser des liens privilégiés avec ses protégés. En témoigne sa relation avec Mark E. Smith, figure houleuse de The Fall, qu'il connaît par cœur.

Sa fiabilité dans les plannings est doublée d'une réelle lucidité : « Si tu te défonces, tu n'arrives à rien. J'ai une vie de famille à gérer. » Un verre à la main, son apparence détendue et enthousiaste en trompe plus d'un : Malick, c'est du sérieux.

Être tourneur reste une prise de risques. Lorsqu'il s'occupe de Sixto Rodriguez, deux concerts réussis à l'Olympia et à la Cigale comblent un public venu en masse. Mais deux Zéniths font polémique : Sixto Rodriguez chante mal et ne termine pas ses chansons. En cause, le décès d'un proche qui l'a fait replonger dans l'alcool. Malick répond aux critiques en précisant :

« Les gens imaginaient qu'il avait encore vingt ans à l'époque de Sugarman ! Aujourd'hui, il est âgé, fatigué et quasiment aveugle. Il voulait jouer, car il n'a pas eu l'occasion de le faire à l'époque. »

La naissance de son propre festival dédié aux jeunes pousses démontre que Malick Fadika n'est pas près de s'arrêter : l'audace, toujours.

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