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Alexandre Mallet-Guy : n'oublie pas que tu vas produire
Par Vincent Raymond
Publié Mardi 23 mai 2017

Photo : © Memento Films
Portrait / Il a révélé en France Asghar Farhadi ou Joachim Trier, et accompagne désormais Nuri Bilge Ceylan ou Bruno Dumont. À Cannes cette année, le patron de Memento Films présente quatre films, dont 120 battements par minute de Robin Campillo, en lice pour la Palme d’Or.
Sur un plateau de tournage, il pourrait passer pour la doublure lumière de Pierre Deladonchamps ou de quelque jeune premier blond. Silhouette élancée et regard bleu franc, ce tout juste quadragénaire ne colle pas à ces portraits de producteurs dessinés par Hollywood : volumineux, grincheux, tonitruants ; bref, à l’image des frères Weinstein. Alexandre Mallet-Guy parle d’une voix mesurée. Et si son débit parfois se précipite avant de s’étouffer dans un sourire timide, n’en tirez pas de conclusions hâtives : il a le caractère aussi solide que son goût est affirmé.
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Depuis 2003 aux manettes de Memento Films, la structure de production, distribution et ventes internationales qu’il a créée ex nihilo, l’homme revendique une ligne éditoriale parmi les plus exigeantes de la profession. Ce qui ne le prive pas d’aligner un palmarès enviable. Le produit de la chance et d’un indubitable flair :
Chez Memento, il n’y a pas de comité de visionnement. Les personnes travaillant sur les acquisitions viennent avec moi sur les festivals, je les écoute… mais je prends quand même les décisions seul.
Si l’enthousiasme n’est pas partagé ? « J’essaie de tempérer mes ardeurs, et de ne pas payer le film trop cher. » La martingale personnelle a plutôt réussi à ce fils d’avocat lyonnais peu prédisposé au 7e art.
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Au commencement était la bobine…
Alexandre Mallet-Guy a pris son temps pour devenir un “bon” spectateur. Trop absorbé par ses études, il manque une occasion de se frotter au patrimoine alors qu’il suit l’enseignement des classes prépa du Lycée La Martinière-Monplaisir, pourtant voisin de l’Institut Lumière. C’est paradoxalement à Paris, élève de SupTélécom, qu’il va muter : « J’ai commencé à travailler avec le président du ciné-club. Je commandais les films pour les projections du mardi soir ; je démontais/remontais les bobines… » Cette approche pratique du cérémonial cinématographique lui inocule le virus : il se met alors à fréquenter assidument les salles obscures.
Diplômé de l’ESSEC, il entre chez le producteur Philippe Godeau comme directeur des affaires financières, avant de prendre à 25 ans la tête de sa filiale Pan-Européenne distribution. Avec comme baptême du feu la sortie épineuse de Baise-moi de Virginie Despentes (2000), un bizutage grand luxe, à vous tanner le cuir dans les profondeurs. Deux ans plus tard, il ramène de Venise Respiro d’Emmanuele Crialese, qu’il distribue avec succès en janvier 2003… avant de partir le mois suivant fonder Memento Films.
Dans ses bagages, Golden Door, sur lequel planche Crialese :
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Un projet ambitieux, assez conséquent. Crialese m’avait demandé d’entrer en coproduction. J’avais peur que ce soit un peu prématuré, mais on n’a pas des occasions comme cela tous les ans. Alors, je me suis lancé.
Lion d’argent à Venise en 2007, ce film historique avec Charlotte Gainsbourg (au finale hypnotique sur Sinnerman de Nina Simone) réunira 300 000 spectateurs en France — en-deça toutefois de Respiro —, connaîtra une belle carrière à l’étranger et sera distribué par Miramax aux États-Unis.
Choix d’Iran
Avant de récolter ces premiers fruits dorés, Memento se constitue un catalogue, affirmant son identité singulière dans le paysage. Les débuts sont compliqués : « Quand on commence, on n’a pas accès aux films français ; on passe après tous les autres distributeurs, car les producteurs vont vers ceux qui ont fait leurs preuves. » Il mise alors sur les films plus audacieux ou montrés dans des festivals moins prisés, où il est sûr de ne pas avoir à surenchérir.
C’est à Rotterdam qu’il débusquera l’insolite comédie expérimentale hongroise Hic ! de György Pálfi (2003).
Notre premier film était… un premier film. Notre axe de développement initial a suivi des films étrangers et de jeunes auteurs qui, comme nous, émergeaient.
Après Pálfi, Hiner Saleem avec Vodka Lemon (2004) rejoint la maison. Le documentaire, genre souvent dédaigné par les gros distributeurs, trouve aussi sa place : Patricio Guzmán propose ainsi Salvador Allende (2004).
Son relatif premier succès français arrive en 2008 avec Les Grandes Personnes de Anna Novion. Et en 2009, Alexandre repère une pépite d’un auteur iranien inconnu, Asghar Farhadi, À propos d’Elly, Ours d’argent à Berlin. Le début d’une nouvelle relation amicale et de confiance. Et quand sort en 2011 l’estomaquant Une séparation, auréolé cette fois d’un Ours d’Or, Memento accompagne son succès jusqu’au million de spectateurs en France, à l’Oscar et au César du film étranger, mais aussi dans les ventes internationales. Ce triomphe permet de distribuer les précédentes œuvres du cinéaste, de lui proposer de produire son film suivant, Le Passé (2013) puis de financer le dernier en date, intégralement tourné en Iran, Le Client (2016).
Nous offrons de coproduire à des réalisateurs venant de pays où le cinéma indépendant a des difficultés à se faire. L’aide technique et financière de la France permet de les monter plus vite.
Une pluie de trophées saluera cette œuvre, dont… un nouvel Oscar. Qu’Alexandre n’est pas allé chercher, par solidarité avec Farhadi qui boycottait la cérémonie en réponse aux décrets de Trump visant les ressortissants des pays musulmans.
Une Palme non académique
Année après année, Memento taquine la concurrence sur le marché du cinéma d’auteur. Glanant ici un splendide Coppola (Tetro, 2009), attirant là des pointures françaises en quête de nouveaux partenaires indépendants, comme Agnès Jaoui avec Au bout du conte (2013) — « son agent nous a présentés et le courant est passé ». Suivront Giannoli avec Marguerite (2015) ou Bruno Dumont avec Ma Loute (2016) et le prochain, Jeanette, l’enfance de Jeanne d’Arc (2017).
Alexandre Mallet-Guy ne perd pas sa vista : en 2013 à Telluride, il tombe sous le choc d’Ida, austère film en noir et blanc du brillant Pawel Pawlikoski. Malgré des papiers calamiteux dans Variety, il ose le prendre. Au terme d’une carrière internationale exemplaire, Ida remportera là encore l’Oscar du film étranger. Sa rencontre avec le Turc Nuri Bilge Ceylan sur Il était une fois en Anatolie (2011) constitue un autre beau coup. Alexandre profite du désengagement de Pyramide, peu convaincu, pour faire une offre de distribution. Bonne intuition. Un Grand Prix à Cannes scelle une complicité qui se prolonge dans la coproduction du projet suivant, l’âpre Winter Sleep… Palme d’Or 2014.
Suivra Le Poirier sauvage, en cours de post-production, « car Ceylan prend son temps… » Alexandre a trouvé son équilibre en sortant six à huit films par an, « pour rester sélectif et bien les travailler dans une offre pléthorique ». Lui qui s’avoue rarement agréablement surpris, « voire plutôt déçu » en voyant un film dont il a lu le scénario auparavant — « on fantasme un film qui n’est pas là » — sait aussi que la magie de l’inattendu peut transfigurer l’ordre établi : « L’atmosphère stylisée de In the mood for Love ne devait pas apparaître sur le scénario. Mais le cinéma, c’est une alchimie, c’est magique. » À noter sur un mémento…
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