Ce théâtre élitaire pour tous que Vitez appelait de ses vœux trouve un écho à Sens Interdits, avec notamment trois propositions gratuites, dans l'espace public, sans réservation.
Cette liberté s'accompagne d'un conseil hautement mesuré : être à l'heure aux rendez-vous fixé par Zora Snake et Garniouze (le 3e spectacle, Trafic, est relatif à la prostitution et se déroulera aux Ateliers Frappaz). Ce dernier est un conteur-acteur sidérant par son flow et sa capacité à quasiment rapper la parole de ceux que la société - eux, vous, moi - laisse s'échouer sur le bas côté ; ici, des victimes de la guerre économique mondiale. Gageons que Je m'appelle (texte d'Enzo Cormann) aura la force inouïe de Rictus, vu il y a deux ans.
Transfrontalier a de façon absolument certaine cette puissance. Le danseur camerounais se livre dans un premier temps à une performance qui crée la gêne et la crainte : simplement vêtu d'un slip, il s'enduit de terre, s'enserre de fils barbelés et part, sur la route, en traînant son matelas. À ces ignorants pensant encore que l'exil est régi par l'envie de toucher des allocations publiques dans des pays riches, voilà une réponse cinglante. Partir meurtrit la chair. Et se déchaîner ne laisse pas indemne : le corps de Zora produit alors des spasmes.
Dans une deuxième partie plus documentée, avec de nombreux extraits de discours politiques en fond sonore, l'artiste se débat entre quatre grilles laissant enfin éclater une rage aiguisée par son parcours chaotique et par les paroles de leaders du parti d'extrême droite français convoquant les frontières nationales, distinguant l'immigration légale de l'illégale pendant que Mélenchon nous déclare tous responsables de cette situation et que Matteo Renzi demande que l'Europe n'abandonne pas la Méditerranée.
Pendant ce temps-là, Snake mange à même le sol. On peut lire à longueur de journée ces témoignages, ne pas être ignare quant à la marchandisation obscène de ceux qui sont nés en terres hostiles, il n'en demeure pas moins qu'il faut parfois le corps d'un artiste et son talent d'interprétation pour tirer la substantifique moelle de ce qui se joue ici-bas. Transfrontalier permet cela. Non pas une catharsis facile pour européens culpabilisés, mais une démonstration que l'art est à l'écoute du monde. Et que son pouls bat fort.
Je m'appelle
Sur la place de la République le 21 octobre à 11h, 14h et 16h
Transfrontalier
À l'Espace Albert-Camus de Bron le 21 octobre à 19h50 et dans le jardin de la Grande Côte le 22 octobre à 12h