Guillermo del Toro : « Le genre de mon film ? Un film de moi ! »

Festival Lumière / Lion d’Or à Venise pour La Forme de l’eau, Guillermo del Toro fait escale au Festival Lumière ce week-end pour présenter une sélection de ses œuvres de chevet. Il en profitera pour montrer en avant-première sa romance fantastique entre un homme aquatique et une femme de ménage muette…

Quand vous avez reçu votre Lion d’Or, vous avez dit « Si vous restez pur et fidèle à ce que vous croyez — et pour moi ce sont les monstres —, alors vous pouvez faire ce que vous voulez ». D’où vous vient cette fascination pour les monstres ?
Guillermo del Toro : Tout d’abord, je veux revenir sur cette phrase : à Venise, ils avaient traduit « monsters » par « mustard », c’est-à-dire « moutarde » (rires), trouvant que c’était une métaphore géniale : « il aime les condiments ». Mais sinon pour moi, ça a commencé tôt, presque au berceau, quand j’avais deux ans. Mon psy dit que c’était un mécanisme d’inversion, tellement j’était tellement effrayé d’être né. Quand j’étais gosse, je me sentais étrange. Déjà, j’étais incroyablement mince — si si —, mes cheveux étaient extrêmement blonds, presque blancs, et j’étais tellement timide que je boutonnais ma chemise jusqu’au col. Je me battais si fréquemment que j’ai commencé à prendre du poids pour être capable de me défendre.

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Alors forcément, j’éprouvais de l’empathie pour les monstres : je voyais la créature de Frankenstein comme un martyre, comme la figure de Jésus qui a souffert pour nos péchés ; et l’Étrange Créature du Lac Noir était pour moi comme un dieu marin élémentaire. Si je devais représenter le thème de la répression, je pensais à la dualité Jekyll/Hyde. Petit à petit, c’est devenu comme une cosmologie personnelle.

Vous savez, au Mexique, il y a eu ce qu’on appelle le syncrétisme après l’arrivée des Espagnols : la fusion des croyances catholiques avec les mythes indigènes. Eh bien j’ai fait pareil c’est ce que j’ai fait : j’ai fusionné les dogmes catholiques avec les monstres. Pour nombre de raisons, je les vois comme des anges, des saints ou des figures spirituelles depuis que je suis enfant.

Vous ne montrez jamais les créatures comme monstrueuses…
Je fais bien la distinction entre monstres et créatures. Je filme des créature avec empathie, et les monstres dans chacun de mes films sont toujours les humains, dont la monstruosité et la vraie nature se révèlent peu à peu. Dans Le Labyrinthe de Pan, c’est un personnage dont les yeux sont de plus en plus rouges ; dans L’Échine du diable, c’est à travers un nez cassé. Dans La Forme de l’eau, ce sont des doigts qui sont en train de pourrir. Ici, le vrai monstre s’appelle Strickland (joué Michael Shannon) ; il veut vivre son rêve américain de banlieusard à la Barbie et Ken, avec la maison, la voiture et les deux enfants — et se révèle capable pour cela de torturer jusqu’à la mort.

Comment faut-il prendre ce film ? Comme un film fantastique ou romantique ?
(en français dans le texte) Comme un film de moi ! Musical, comédie, drama, thriller, monster-movie… C’est fou, très fou !

Le cinéma a-t-il besoin de plus de films optimistes ?
J’ai fait dix films. Neuf d’entre eux ont à voir avec mon enfance : ils parlaient de perte, de nostalgie. Dans notre conception de l’art, il est plus facile d’être considéré comme artiste lorsque l’on est sombre. Dans certains cercles, en tout cas, c’est un signe d’intelligence. Si vous dites que vous ne croyez pas en l’amour, on vous prend pour un philosophe ; si au contraire vous dites y croire, on vous prendra pour un crétin. Il y a davantage de risque à croire aux émotions, à les faire vivre. La Forme de l’eau possède une ironie douce-amère : on y parle de pathos, de perte, de peur et de violence, mais il recèle aussi mon amour pour l’amour et pour le cinéma. Ce film est, je crois, une affirmation de la force vitale : bien sûr qu’il y a du bien qui existe sur terre. Si tous les invisibles se donnaient la mains, ils pourraient agir. C’est mon premier film adulte, qui traite de thèmes adultes et qui montre, comme je l’ai dit à Venise, mon amour de la vie, de l’amour, et du cinéma. Je le dis beaucoup mieux aujourd’hui à 53 ans que je n’aurais été capable de le dire à 23.

Qu’attendez-vous de votre venue à Lyon au Festival Lumière ?
Je viens parce que c’est un endroit merveilleux et amical pour parler du cinéma qu’on aime. Mais aussi en l’occurence pour voir les films que j’ai choisis dans ma Carte blanche : Mario Bava, Georges Franju, Clouzot, Melville… Des cinéastes qui m’ont influencés. Chacun admire Clouzot, il se sert du cinéma magnifiquement. Les Yeux sans visage ou Le Sang des Bêtes de Franju, c’est le fait d’un poète sauvage — Franju est le jumeau maléfique de Cocteau ! Il y a la magie, la beauté mais aussi la brutalité… Quant à Melville, en plus de son incroyable conviction et sa solidité, j’admire par exemple Le Samourai, qui parfaitement réalisé, et son travail phénoménal sur la couleur dans L’Armée des ombres.

Et sinon la nourriture est bonne. (en français dans le texte) Je vais manger très bien !

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