shoegaze / Au début des années 90, Ride fut le visage radieux d'une scène musicale britannique qui n'en voulait pas : les shoegazers. Une poignée de groupes à la fois mélodiques et bruitistes, mélancoliques et furieux, vaporeux et frondeurs, préférant regarder leurs chaussures plutôt que d'affronter en face les spotlights de la starisation. Reformé en 2015 et auteur d'un album cette année, le quatuor d'Oxford est de passage au Transbo pour le plus grand bonheur des nostalgiques du rock joué le nez dans les grolles.
L'Angleterre, début des années 90. Mélangeant la force mélodique de la pop psychédélique à la puissance sonore du rock noise et du post-punk, ils montent sur scène en anorak ou affublés de vêtements trop grands, cachés derrière un mur de fumigène, de son et de cheveux, les yeux irrémédiablement fixés sur leurs chaussures. Comme s'ils semblaient vouloir s'inscrire inconsciemment à contre-courant de la nature historiquement extravertie du rock.
On donne alors à leur comportement un surnom, le shoegazing ("matage de pompe", à la louche), et au moins deux hypothèses pour l'expliquer : des musiciens trop obnubilés par leurs pédales d'effet pour prêter attention au public ou simplement trop timides pour en soutenir le regard et ainsi apercevoir leur âme en miroir. De ce courant, riche en groupes de qualité, Ride, un quatuor d'Oxford qui est alors considéré comme un chef de file, en dépit du potentiel charismatique de ses deux leaders Andy Bell et Mark Gardener.
Il faut dire que Ride n'est pas à un paradoxe près. Car c'est à un concert des Smiths, précipité de ce que la pop peut avoir de plus théâtral dans l'introspection, d'extraverti dans la manifestation de l'introversion, que les deux potes de lycée Gardener et Bell connaissent ce genre d'épiphanie qui vous fait monter un groupe.
Léthargie bouillonnante
Mais ce ne sont pas tant les simagrées précieuses de Morrissey qui les révèlent alors à eux-mêmes qu'un morceau bien particulier de Morrissey & Marr : une bizarrerie baptisée How soon is now dont les arpèges engourdis émergent d'une nuage de groove étrangement psychédélique, comme délivré au ralenti depuis le cœur d'un orage.
Si ce n'est que quatre ans plus tard, le temps de terminer le lycée, que Ride prend forme, Steve Queralt et "Loz" Colbert rejoignant Gardener et Bell, la réputation du groupe ne tarde pas à arriver aux oreilles d'Alan McGee, jeune boss d'un label en devenir, Creation.
Les Ride ont à peine vingt ans et font une entrée fracassante sur la scène anglaise avec l'EP Chelsea Girl puis l'album Nowhere, resté mythique, mélange de psychédélisme 60's (les Byrds sont passés par là, les arpèges de Johnny Marr sont restés) et de bourdon noise rock, de mélodies bruitistes et de léthargie bouillonnante (une idée qui serait venue à Andy Bell à force d'écouter sa mère passer l'aspirateur en écoutant les Beatles).
Le concept, déjà en germe chez The Jesus & Mary Chain, se répand comme une traînée de poudre prenant diverses formes, de My Bloody Valentine à Slowdive de Moose à Swervedriver. En 1992, l'album Going blank again, qui entre dans le Top 10 britannique, achève de couronner Ride tout en le faisant entrer dans une autre cour où s'approfondissent les textures sonores tandis que les mélodies accoucheuses de tubes jaillissent comme des feux d'artifices.
Disque fantôme
Malheureusement, la gloire leur fait payer cher sa rançon au terme d'une triomphale mais épuisante tournée mondiale : à leur retour, les mouches ont changé d'âne et le peu inspiré Carnival of Light (1994) est enseveli sous le mouvement britpop largement nourri par leur label, qui abrite de jeunes roitelets baptisés Oasis.
Étrillé par la critique, Ride se sépare avant même la publication de son album suivant, Tarantula, enregistré dans une ambiance délétère (les têtes de gondole pensantes Andy Bell et Mark Gardener ne sont d'accord sur à peu près rien). Ce disque fantôme au mieux ignoré, au pire vilipendé, ne reste en vente qu'une semaine durant. Ironie du sort, tandis que chacun s'éparpille dans divers projets solos ou piges chez des confrères, Andy Bell, va même jusqu'à rejoindre, en tant que bassiste, l'un de ces groupes qui a détrôné Ride : Oasis.
Mais, aussi éphémère que fut la carrière de Ride, et même si, tant esthétiquement que philosophiquement, un groupe comme My Bloody Valentine en est sans doute un meilleur ambassadeur, l'influence du groupe est restée intacte et irrémédiablement attachée aux plus belles heures et à certains des plus beaux morceaux d'une scène shoegaze en permanent revival. Tout en incarnant d'une manière paradoxale la face la plus charismatique et lumineuse d'un mouvement qui préférait l'ombre à la lumière, l'autisme à l'expansivité et la musique à son folklore.