Grand Mix / Quatre ans après le disque qui l'a révélé sous l'alias King Krule, le jeune Archy Marshall revient avec le magistral The OOZ. Mais comme on revient d'entre les morts : à la fois embaumé, momifié, et dans tous ses états (musicaux).
« Y-a- t- il quelqu'un ici ? » chante King Krule sur The OOZ, morceau-titre de son dernier disque. Plus loin : « Je ne sais pas pourquoi je te cherche (...) Pouvons-nous nous rencontrer ici / jusqu'à la fin des temps. » D'emblée, King Krule fait ainsi penser à l'un de ces personnages qui émergent d'un long coma, ou d'une bonne cuite, après que la fin du monde a eu lieu sans eux – dans le cas de King Krule, après que la gloire lui a tourné la tête jusqu'au vertige.
Les voilà alors errant dans un monde vidé de sa substance, abandonné aux morts par les vivants et peuplé de créatures hostiles prêtes à vous sauter à la gorge. Bref, un monde cul par dessus-tête, en miroir comme le titre de cet album, lecture inversée du Zoo de Zoo Kid, précédent alias d'Archy Marshall – "oozing" signifie également "suintant". Si bien que King Krule fait à la fois office de dernier humain, de roi du dernier monde connu et de créature d'apocalypse, hostile à elle-même, dont on ne saurait où finit l'un et où commence l'autre.
Comment le pourrait-on quand un corps de crevette pré-adolescente abrite une voix de crooner crépusculaire, tantôt caverneuse et autoritaire, tantôt pâteuse et plaintive, mais toujours comme revenue d'entre les morts – à l'image de l'orchestre zombie du clip de Dum Surfer, quand L'Emprise des Ténèbres de Wes Craven visite David Lynch ?
Tripes-hop
Car ce qu'opère ici King Krule sur la musique d'aujourd'hui, en pratiquant une écriture découlant ("oozing") du « courant de conscience », c'est une sorte de syncrétisme tenant autant de la zombification que de l'embaumement dans la même funeste mais ô combien capiteuse gangue sonore du rockabilly, du hip-hop, du trip(es)-hop, du dub, du post-punk, du garage et surtout, de plus en plus, du jazz.
Ses textes eux tiennent davantage de l'exorcisme, qu'il s'agisse des démons évoqué sur The Locomotive (« En attendant le train / Au cœur de la nuit je hurle / Nous avons tous nos démons / On nous dit juste de garder notre calme / Recroquevillé et faible / En proie à nos cerveaux / A la douleur du naufrage intérieur ») ou de ces petits contes pathétiques que nous sert la vie, sur Dum Surfer toujours : «Tandis que Vénus complète son orbite, je me sens légèrement en purée / Le sauté n'a rien absorbé, il faut que j'aille pisser (...) je suis à deux doigts de la folie quand je vomis sur les pavés. »
S'ensuit probablement l'un de ces comas semi-éveillés et sans cesse répétés d'où Archy Marshall tire la vision d'un monde cauchemardesque et pourtant si vibrant de réel qu'il en devient magique.
King Krule
À l'Épicerie Moderne le mercredi 29 novembre