Dodie, l'intransigeante

Portrait / Dodie, tatoueuse depuis 20 ans, fait voyager ses aiguilles un peu partout en France, en Belgique et Outre Atlantique. Intransigeante, Dodie ne fait aucune concession quand il s’agit de porter et transmettre les passions qui l’animent.

Dodie est à l’image de ce moment qui frôle les confins de la nuit et du jour : intime, secrète et lumineuse. Au cœur d’un quartier historiquement chargé de Lyon, elle exerce dans un lieu qui porte le nom de L’Heure Bleue. L’adresse ne doit pas être communiquée, idem pour la date d’ouverture. Le mystère est loin de se résorber dans ce cabinet rempli de peintures, livres et dessins aux symboles ésotériques et à la culture fortement orientale. Les inspirations de cette artiste sont multiples, mais forment un véritable noyau cohérent à l’intérieur duquel le rock’n’roll prime.

« J’ai toujours rêvé d’être une rock star, mais j’ai jamais réussi ! » Rires. Après avoir débuté en tant que contrebassiste dans quelques groupes, elle s’oriente naturellement vers la basse et joue dans des groupes de garage. Nous sommes dans les années 90, la Croix-Rousse trépigne sous l’impulsion du rock et des lieux où il se joue. Squats, bars, salles de concerts révèlent la scène locale dans une ambiance grisante dans laquelle Dodie se reconnaît.

La jeune femme arbore ses premiers tattoos dans ce milieu underground où le tatouage est la norme, bien qu'encore marginal dans le reste de la société : « à l’époque, c'était un truc de biker ou de rocker, de cramé et de cassos. » Marginale ou non, la question ne s’est pas posée lorsqu’à 21 ans Dodie tombe enceinte de sa première fille et qu’il lui faut trouver un job pérenne. « J’ai toujours eu des facilités en dessin, ça n’a jamais été difficile de faire un travail potable, j’évoluais dans un milieu rock où le tattoo prédominait, j’étais tatouée, ç’a été une évidence que je fasse ce boulot-là. »

Direction Montpellier où la jeune maman fait ses armes. Les aléas de la vie, ainsi que les normes et la grivoiserie de ce milieu radicalement masculin l’obligent à ne jamais rester très longtemps chez un tatoueur. « Lorsque le tatoueur chez qui je bossais n’arrivait pas à ses fins, il était temps pour moi de mettre les voiles... » Aucune amertume ni appréciation vindicative n’émergent des paroles de Dodie qui semble avoir parfaitement intégré la dureté de ce microcosme envers les femmes.

Mère célibataire, c’est avec sa fille sous le bras qu’elle trime de ville en ville, de salon en salon tout en gardant sa préférence pour le rock avec différents groupes : « ma passion avant tout, c'était la musique, pas le tattoo. Mais ça l’est devenu. J’ai été reconnue en tant que tatoueuse, mais jamais en tant que musicienne. »

Cette reconnaissance, Dodie l’a obtenue grâce à une véritable pugnacité. À Marseille, elle bosse dans un street shop. Les clients défilent à la chaîne. Le matos tombe en ruine. Les dessins demandés ne l’intéressent pas. Mais la précarité lui fait apprendre le métier à la dure. À Rennes, les clients hésitent à lui faire confiance : « c’était difficile d’être reconnue. Avant de te donner leur peau, les gens voulaient voir d’autres personnes que tu avais tatouées. » Les projets sur lesquels elle bosse ne l’emballent pas. Son inspiration est en berne depuis ses deux années aux Beaux-Arts de Saint-Étienne, huit ans plus tôt.

Trip de dentelles

De retour à Lyon, Dodie se remet à peindre et arrête de tatouer. « J’ai ensuite recommencé à tatouer pour pas cher du tout, surtout les potes qui aimaient mes dessins. Je vivais mal, mais j’avais une démarche artistique intransigeante, je tatouais exclusivement mes dessins et ça n’a jamais changé depuis. » Et c’est cette honnêteté avec elle-même qui portera ses fruits.

À l’heure où MySpace fut un vecteur formidable pour la musique, l’ancêtre des réseaux sociaux l’était tout autant pour le tatouage, et c’est par ce biais que Dodie se fait contacter par Tatouage Magazine qui l’avait dragué dix ans plutôt. À l’époque, elle était l’une des rares femmes a exercer, on lui avait proposé un article qu’elle a refusé : « j’aurais été la première femme publiée dans ce magazine, mais je ne voulais pas qu’on s’intéresse à mon boulot uniquement parce que j’étais une nana, mais parce que j’étais capable de proposer un travail de qualité. »

Les sept pages qui lui sont consacrées la propulsent. Les demandes et invitations d’autres tatoueurs affluent. Le carnet de commandes se remplit. Les années qui ont suivi cette parution ont été marquées par la naissance de sa deuxième fille, cinq années pendant lesquelles elle a peu tatoué, beaucoup dessiné et peaufiné un style ultra-féminin. « Je me suis dit que j’étais une femme et qu’il fallait que j’assume d’aimer faire des trucs de nana, je suis partie dans ce trip de dentelles à fond et ça a marché. » Le carnet de rendez-vous se remplit à nouveau, et l’arrivée de Facebook, et surtout d’Instagram, change la visibilité et aussi l’image que les femmes se font du tatouage.

Une nouvelle génération de tatoueuses et de tatouées se reconnaît dans le style ornemental de Dodie et les valeurs humanistes qu'elle porte. Agathe Fernandez, son apprentie, évoque sa sensibilité féminine aussi bien dans les relations humaines que dans ses tatouages, mais aussi son intransigeance : « son parcours suscite l’admiration. Pendant toutes ses années de street shop, elle a toujours respecté l’éthique et les règles du métier. »

Pour Sophie Hédon, tatoueuse chez Empreinte, « son travail n’a pas seulement permis à des jeunes femmes de se glisser plus facilement dans ce milieu en tant que professionnelles, mais aussi à d’autres, en tant que clientes, de se retrouver dans cet univers. »

Motifs de fleurs

Ces dernières années, Dodie excelle dans les motifs floraux, et c’est en tatouant le dos d’une jeune femme avec ce placement harmonieux et un travail minutieux de contrastes qu’on lui connaît, qu’elle remporte un prix et la reconnaissance de ses pairs au Mondial du Tatouage de Paris. Mais elle garde ses pieds bien ancrés dans le sol : « rien n’est jamais acquis et j’apprends tous les jours, aujourd’hui ce qui me plaît ce sont les rencontres et les échanges avec les clients. »

Des clientes qui le lui rendent bien, et qui se déplacent de loin pour passer onze heures sous son aiguille, comme Cindy, une Américaine venue à Lyon le mois dernier. Une belle preuve d’amour. « J’essaie de ne pas habiter émotionnellement mes tatouages, cela n’empêche pas de mettre de l’amour et de la bienveillance dedans, mon rôle est d’embellir la personne, ma démarche est purement esthétique. »

Quand on lui montre ses tattoos d’il y a six mois, elle tique et se dit qu’elle aurait pu mieux faire, « c’est toujours mieux demain. » La lutte contre l’effet du vieillissement de la peau sur le tatouage fait partie de sa recherche perpétuelle de progression. Mais au-delà de l’aiguille sur la peau, elle s’est trouvé une nouvelle matière à piquer : le cuir. Depuis que son dernier projet musical, Black Luna, est en pause, la couture a remplacé la basse. Vestes et gilets à franges, colliers façon concho ou chocker, strap de guitare, Dodie ne s’éloigne jamais bien loin de son premier amour.

Son nouveau bébé, Black Wire, est authentifié « fabriqué en France par un adulte consentant ». La culture cow-boy, « western spaghetti » comme elle dit, fait partie de son ADN. « Mon père travaillait le cuir et ma mère faisait du perlage indien », les crânes d’animaux qui revêtent les murs de l’Heure Bleue prennent alors leur sens. Et les images de gardians à cheval coursant les troupeaux de taureaux dans les hautes herbes camarguaises des Saintes-Maries-de-la-Mer, où Dodie a grandi, viennent immédiatement à l’esprit. La boucle est bouclée.

Tattoo by Dodie
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Black Wire Handmade
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