Pierre Lapointe : « Faire le lien entre l'avant-garde et les arts populaire »

Pierre Lapointe : « Faire le lien entre l'avant-garde et les arts populaire »
Pierre Lapointe

Le Toboggan

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Chanson / 80% de notre métier, c'est de s'imprimer dans la tête des gens avec une image forte.

Tu es une star au Québec, en France tu as davantage un public d'initiés. Trouves-tu une sorte de confort dans cette situation, toi qui as dit : « les gens ne se rendent pas compte à quel point l'anonymat vaut cher... »

Pierre Lapointe : Quand on a vécu le succès dans sa vie – qui plus est jeune – on démystifie vite ce phénomène, on se rend compte que c'est assez vide. Je trouve très agréable qu'avec La Science du cœur, les critiques les plus pointus finissent par saluer mon travail – même si ça a pris dix-quinze ans. Et de remplir des salles chez vous tout en pouvant marcher tranquillement dans la rue. Mais au Québec, quand j'ai joué la carte de la vedette en étant coach à La Voix (version québécoise de The Voice, NDLR), ça m'a aspiré dans un drôle d'endroit qui me plaît beaucoup : je suis le représentant d'une certaine forme d'avant-garde et, en même temps, un visage très connu, qui se mêle aux vedettes qui n'ont pas du tout le même genre de démarche que moi.

Cette association entre avant-garde et populaire est au cœur de ta musique, particulièrement sur La Science du Coeur. Comment la cultives-tu ?

Quand j'écris, je ne réfléchis pas, je laisse sortir les choses. Après seulement, je les organise. Je me vois comme un directeur artistique : j'essaie de voir quelle ligne directrice pourrait faire que plusieurs morceaux sortis spontanément soient organisés ensemble autour d'un même objet. Là, j'avais écrit trois disques en deux mois. Pour l'un d'entre-eux, La Science du cœur, j'ai rassemblé des chansons qui parlaient davantage d'amour, qui avaient une teinte plus réfléchie. Et puis avec David François Moreau on a travaillé à faire le pont entre la musique contemporaine classique – Steve Reich, Philip Glass et d'autres – et la chanson française.

Travailler dans une liberté absolue puis organiser les éléments afin de donner un discours sous-jacent à cette spontanéité crée quelque chose de vivant. On marche sur une ligne très fine qui fait que l'auditeur est confortable et en même temps toujours stimulé. C'est un vrai travail d'équilibriste, parfois ça ne marche pas et on se pète la gueule, là sur La Science du cœur, j'ai l'impression que ça marche.

Tu as été exposé très jeune à l'art, via ta mère qui l'étudiait. Quelle influence cela a-t-il eu sur ton travail de musicien ?

Je suis autodidacte, je ne lis pas la musique et pour moi la création est un tout. J'ai forgé ma façon de créer autour de ce que j'avais compris par exemple des travaux du Bauhaus ou de Philippe Starck qui a inventé des objets esthétiquement intéressants pour Monsieur et Madame Tout-le-Monde, une idée qui m'intéresse. Mais aussi de Bertolt Brecht et Kurt Weill et leur Opéra de Quat'sous, de cette volonté de dire :

« on fait partie d'une certaine élite intellectuelle mais on va aller vers les gens dans une démarche populaire ».

Je me réclame de cette école de pensée, faire le lien entre les arts d'avant-garde et l'art populaire. Or le visuel nous aide à aller chercher tout le monde. Même quelqu'un qui ne comprend pas le français doit être attiré. Et puis je trouve ça tellement agréable de réfléchir l'esthétique d'un objet à partir de la réflexion qu'on a faite musicalement. Je pense aussi qu'en musique on sous-estime le pouvoir de l'image. 80% de notre métier, c'est de s'imprimer dans la tête des gens avec une image forte.

Sur le livret de l'album, il est écrit : « Ce disque a été conçu pour être écouté sans interruption. » C'est une manière de défendre le format du disque ? On sait que tu déplores notamment le fonctionnement des plate-formes de streaming et notre hyperconnectivité...

C'est un peu tout ça à la fois. Aujourd'hui, on en est rendu au point où les chansons ne valent plus rien, on est très peu rémunérés pour nos droits d'auteur. Faire un disque ça ne coûte pas plus cher qu'une bouteille de parfum et la bouteille de parfum est vendue entre 100 et 200€. L'industrie du luxe a réussi à faire croire aux gens que ça valait la peine de payer très cher pour du "push-push" qui sent fort, alors que celle du disque n'est pas parvenue à montrer aux gens à quel point la musique avait une grande valeur dans la société ; alors qu'on a tous à peu près un million de chansons dans notre téléphone et que tout est organisé autour du fait d'écouter de la musique partout et tout le temps. Je trouve ça dommage.

Par rapport à ce disque, on est vraiment dans une façon de réfléchir la musique qui se rattache aux techniques des années 60 : on fait une mise en scène, on choisit l'ordre des chansons, on crée des courbes pour être sûr que l'auditeur soit toujours surpris. Je me suis dit que ce serait drôle de proposer aux gens d'écouter le disque comme on le faisait dans ces années-là. Ça n'amène pas le même genre d'attention. Parce que je suis persuadé que la chanson a le même pouvoir et les mêmes qualités artistiques qu'une œuvre littéraire, théâtrale ou cinématographique.

Pierre Lapointe
Au Toboggan le dimanche 4 février

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