Iñaki Aizpitarte : « J'étais fasciné par les bistrots »

La cantine de nuit du Sillon

Café Sillon

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Attable : Le mot du chef / Iñaki Aizpitarte, bientôt 46 ans, est le chef du Chateaubriand, premier bistrot à avoir intégré le classement (certes contesté) des 50 meilleurs restaurants du monde. Il vient ce samedi à Lyon dans le cadre du festival Attable.

On te décrit souvent comme un chef rock and roll, voire même punk. Un punk devenu le chef de file d'une bistronomie qui depuis le milieu des années 2000 secouerait la gastronomie française.
Iñaki Aizpitarte : On aime bien mettre les gens dans des cases, c'est classique. Quand les journalistes sont passés par ici, voir ce qu'on faisait... disons que ça les changeait. Ils se sont arrêtés sur une ou deux choses qui leur permettaient de nous décrire comme sortant de l'ordinaire - va pour le rock en cuisine. Quant au rôle de chef de file... On n'a pas été les premiers à faire de la bistronomie. il y avait déjà des chefs comme Thierry Coué, ou (plus connu) Yves Camdeborde. Ils sortaient de grandes maisons très codifiées (Senderens, Constant), un peu pince-cul et ont ouvert des restaurants à leur image, des trucs plus chaleureux. Leur cuisine avait des notes un peu plus tradi, plus régionales que ce que l'on fait maintenant. On a renouvelé cet élan-là.

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C'est avec cette ambition que tu as ouvert le Chateaubriand...
De mon côté, je n'ai jamais réfléchi à un concept avant d'ouvrir. J'étais fasciné par les bistrots. J'adorais y manger depuis bien longtemps. C'était normal que je reprenne un lieu comme ça. Il y avait un contraste surprenant entre le cadre et la cuisine que je faisais, que j'aimais faire et qui est venue naturellement. Mais ce n'était pas spécialement pensé. Depuis, on a évolué. J'espère qu'on s'est amélioré.

Par la suite il y a pas mal d'autres jeunes chefs, comme Sven Chartier et Bertrand Grébaut [qui seront eux-aussi présents au festival Attable] qui travaillaient dans des grandes maisons, qui ont vu qu'on pouvait sortir de là et ouvrir un resto à son image. Plus facilement qu'on ne le croyait. Avant les chefs restaient plus longtemps dans les maisons, ne se lançaient pas comme on se lance maintenant.

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Pour ma part, j'ai commencé la cuisine assez tard, j'ai appris en voyageant. Puis chez un chef [Gilles Choukroun au Café des Délices], j'ai découvert que l'on pouvait s'exprimer en cuisine, avoir une sensibilité personnelle, être créatif, s'amuser. Tout cela, je ne l'avais pas compris au début, donc ça m'a fasciné. Je trouvais ça beau. Et j'ai continué le voyage. J'avais en moi des idées, des petites choses, avec les bases de restos dans lesquels j'avais travaillé. Et voilà, on finit par se lancer (à l'époque c'était moins évident...). Et petit à petit on avance. On n'a pas son style tout de suite.

Qu'est-ce que tu voulais faire au Chateaubriand ?
J'étais heureux de reprendre un bistrot, que je trouve très beau, simple, pur, pas chargé. Un de ces lieux où le client se sent directement bien, qui s'inscrivent dans la ville, qui paraissent avoir toujours été là. Quand tu rentres dans ce genre d'endroit, tu rentres directement dans l'assiette... Je ne sais pas, c'est naturel. Ce sont des bistrots qui sont de 1900, on n'est pas écrasé par le décor, le service, on est au coude à coude, avec des ambiances bruyantes, ça va bien avec le vin. Les gens qui s'attablent, ce sont des gens qui sont vivants...

Le resto qu'on avait repris marchait déjà bien. C'était une cuisine plus bistrot. Ça marchait bien, avec un menu du midi très accessible, et le soir à la carte. Quand on a repris, ça a tout de suite démarré fort. On avait déjà été un peu remarqué à la Famille, et puis au Mac/Val, à Vitry. Quand on arrive et qu'on est un peu connu, les gens à l'affut des nouvelles ouvertures viennent. Même avant Instagram... À cette époque, ça passait beaucoup par la presse papier : Le Figaroscope, Zurban, Télérama, etc.

Il y a des gens qui savent faire de très belles cartes, moi je n'étais pas fait pour ça, j'étais fait pour tenter.

C'est un bistrot, mais ouvert uniquement le soir. Et où l'on mange un menu unique, de neuf plats.
Ma clientèle était, au départ, essentiellement du quartier. L'été il y avait toujours moins de monde, alors la troisième année, au mois d'août, on a fermé au déjeuner. On s'est rendu compte qu'on avait d'un coup une vie.... différente. On n'a jamais rouvert le midi... C'est ça qui m'a permis de développer ce que je voulais faire le soir. Parce qu'au dîner je faisais un menu, et en entrée-plat-dessert, on est limités. J'ai voulu décliner ça en beaucoup plus d'étapes. Pour faire goûter aux gens des choses qui ne peuvent pas être considérés comme un plat ou une entrée. Si tu veux faire goûter un oursin avec, je sais pas je dis une connerie : de l'agrume et puis un peu d'algue... ça ne peut pas être une entrée, c'est trop petit. Donc il fallait l'intégrer dans une succession d'étapes. J'avais envie de toutes ces pulsions, de tous ces produits qui s'offraient à nous, de les faire goûter, de les cuisiner. En fait je le faisais déjà pour des amis, et puis ensuite les tables d'à côté, et puis à la fin pour tout le monde.

Il y a des gens qui savent faire de très belles cartes, moi je n'étais pas fait pour ça, j'étais fait pour tenter. Je me suis renseigné, j'ai été voir Yves Camdeborde, qui faisait déjà un peu la même chose. Si c'est devenu un choix unique, c'est aussi parce que je ne pouvais pas faire autrement avec les contraintes qu'on avait... On est dans des bistrots : ici tout l'espace est réservé à la salle. Les cuisines sont minuscules, auparavant on y faisait surtout des choses mijotées. Donc quand j'ai voulu faire goûter plein de plats, faire un menu "dégustation", il n'y avait plus que ça. Mais ça n'est pas arrivé tout de suite, ça a pris du temps.

D'un côté, un menu dégustation ça s'équilibre, ça permet de faire des choses qu'on ne peut pas faire à la carte. Et dans le même temps ça t'impose de nouvelles limites. Je ne peux pas faire une sole meunière par exemple, chose que j'adore faire. Maintenant au moins je peux le faire au Dauphin [son second restaurant, situé juste à côté].

Ils étaient rares ceux qui proposaient uniquement un menu [sans choix à la carte]. Je crois qu'il y avait Pascal Barbot à L'Astrance. Mais bon, à la base le restaurant c'était ça : tu mangeais ce qu'il y avait. Il n'y avait pas de carte, il y avait la gamelle. Les tous premiers restaurants je veux dire. Ca énerve certains journalistes maintenant, qu'il n'y ait qu'un menu. Je comprends aussi. Moi-même je trouve ça un peu agaçant qu'il y ait beaucoup de jeunes qui suivent ça. Qu'il n'y ait presque que ça maintenant....

Ce fameux menu unique mute en permanence.
Il y a toujours des choses qui changent chaque jour, parce qu'il y a des produits qui arrivent au jour le jour. Quand tu n'as pas de carte fixe, tu as toujours de la super belle camelote parce que tu parles avec tes fournisseurs, ils te disent : demain on aura un truc magnifique, alors tu pars là dessus. Bien sûr on a des trames de recettes, des recettes qui reviennent. Et puis on se promène. Ça évolue sans arrêt. Et tout d'un coup, il y a quelque chose qui change complètement. Ce n'est pas de la création 100% tous les jours mais il y a toujours quelque chose qui bouge. Qui change ou qui évolue, qui se balade, un jus qu'on faisait là dessus et qu'on va amener ailleurs, etc.

Les changements de saisons se font progressivement. Il n'y a pas de menu printemps, hiver, etc. Ca marche pas comme ça les saisons. Là les premières asperges vont bientôt arriver, mais il y a encore les salades d'hiver. C'est progressif. Après... Des fois tu attends un produit, alors tu commences à réfléchir. Tu en as marre de l'hiver, alors tu commences à penser à ce qui va arriver après, ce que tu vas faire avec.

La création des plats, c'est lié à toutes ces contraintes : aux choses qui restent que tu ne veux pas gaspiller, aux produits, aux nouveautés. Il n'y pas vraiment de règle. Le point de départ lui-même change. Tiens, j'aimerais accompagner ça avec ça. Ou alors, j'aimerais mettre telle chose au centre de l'assiette (un beau ravioli ou une asperge). Et il y a les idées issues de voyages. Tout ça rentre en compte. Cette année, on a fait un truc un peu comme un civet. J’avais mangé un plat un peu tradi quelque part. Je me suis dit, putain, c'est tellement bon. Finalement, on l'a fait à notre façon. Mais ça a pris du temps avant de ressurgir.

Le ceviche [qui est un amuse-bouche immuable du Chateaubriand] je me le trimballe depuis des lustres, depuis un voyage en Amérique du Sud. Un jour, on avait un événement avec la boutique Isse. On avait fait un menu avec beaucoup de plats, avec pleins de sakés. Et le ceviche on l'avait accordé avec un saké, le jus du ceviche en fait. C'était au tout début du repas et on s'est rendu compte que c'était vachement bien, que ça réveillait les papilles. Le tocino del cielo [son dessert iconique, inspiré d'un flan andalou aux jaunes d'œufs] c'était pour une maison de jambons espagnols, ils nous avaient demandé un diner, autour du porc ibérique. Le pur dessert andalou c'est le tocino del cielo, on l'a réinterprété.

Pour revenir aux recettes : elles se construisent aussi en discutant avec mon équipe. Avec mon second, Antonio, on échange et ça marche avec ces conversations. Si on devait retracer l'évolution de la cuisine du Chateaubriand depuis dix ans, ça correspondrait aux différentes équipes qui se sont succédées. Ce sont aussi ces rencontres qui font évoluer la cuisine. Ce matin, on a fait le menu pour... aujourd'hui. Parfois on arrive à prendre un peu d'avance. Mais l'urgence, des fois, ça nous amène à faire des belles choses, un peu tendues.

Tiens, tu ne connais pas un bon bouchon ?

Avec les réseaux sociaux désormais, on peut savoir quasiment en direct ce que d'autres chefs font au bout du monde. Est-ce que ça favorise l'inspiration ?
Je ne suis pas du tout connecté. Je ne regarde pas. On m'a dit il y a trois ans d'avoir un truc Instagram, j'ai essayé, bon... C'est pas moi qui gère. Je ne comprends pas comment ça marche de toute façon. Oui, je sais qu'il se passe des choses, un peu partout, mais je ne sais pas quoi.

Tu voyages quand même...
Je voyage. Mais c'est pas pareil !

Là justement, tu viens à Lyon, qu'est-ce que ça t'évoque...
Je suis quasiment jamais venu à Lyon. Ça m'évoque la tradition évidemment. Tiens, tu ne connais pas un bon bistrot... comment vous appelez ça déjà... les bouchons, c'est ça ? [On évoque le Garet, situé en face des bureaux du Petit Bulletin]. Attends je regarde si c'est ouvert le dimanche [c'est malheureusement fermé]. C'est beau ces endroits, hein. La cervelle meunière.. ça a l'air bon.

Le samedi, tu viens donc cuisiner au Café Sillon...
On va faire un truc à base d'échine de porc, peut être un peu de poitrine, dessus on va mettre de la seiche, une huile de livèche que l'on fait. Ça va être exceptionnel [il sourit]. On fera ça pas trop tard je pense. Disons, vers 1h du matin. On mangera ça à la petite cuillère.

Iñaki Aizpitarte
À la cantine de nuit du Café Sillon le samedi 17 mars de 22h à 4h

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