Rock / Avec "Shadow People", un disque détonnant produit par Anton Newcombe, le meilleur groupe garage catalan du monde, The Limiñanas, a livré son album le plus abouti, le plus libre, et peut-être le plus personnel. Et frappé un gros coup dont les secousses se propagent à très grande vitesse dans le paysage rock. Entretien avec M. Limiñana avant leur passage à L'Épicerie Moderne.
Sur cet album vous avez travaillé pour la première fois avec un producteur et non des moindres, Anton Newcombe du Brian Jonestown Massacre. Comment a-t-il influé sur votre manière de travailler, vos habitudes et surtout votre son qui n'a jamais été aussi percutant ?
Lionel Limiñana : La première fois qu'on est allé à Berlin, je lui ai amené toutes les rythmiques et la plupart des mélodies, des riffs en tout cas. Nous attendait là-bas une ingé son, Andrea Wright, qui a produit des gens aussi différents que Black Sabbath, Echo & the Bunnymen, quelqu'un qui sait enregistrer une batterie et une guitare. On a commencé par reprendre toutes les rythmiques de Marie et là, déjà, j'ai senti que le disque prenait de l'épaisseur par rapport à ce que j'aurais fait. On a commencé à travailler sur cette base-là, Andrea, Marie et moi. Anton se baladait dans l'appart', il entrait, écoutait de l'extérieur et balançait un riff ou un arrangement de mellotron. Ça s'est monté par petits bouts avec des interventions d'Anton qui avait toute liberté de faire ce qu'il voulait. Comme il sait ce qu'est un album et laisse respirer la musique, à chacune de ses interventions, non seulement ça fonctionnait mais ça ne remettait rien en question de ce qu'on avait imaginé.
À aucun moment vous n'avez eu peur que sa patte ou celle de Peter Hook [ex-bassiste de New Order qui prête sa basse et arrange le titre The Gift, NDLR] ne dénature votre travail ?
C'est vrai que ce sont des gens qui ont trouvé leur propre son. Anton, dès qu'il fait un accord de clavier ou un riff de guitare, on sait que c'est lui. Et Peter Hook est sans doute un des seuls mecs à utiliser la basse comme il le fait. Mais on les a choisi parce qu'on était certains que ça allait fonctionner. Sur les huit jours de boulot avec Anton, je crois qu'on n'a pas effacé une seconde de ce qu'on avait enregistré. Il y a des tas de producteurs très bavards qui enregistrent des tonnes de trucs. Lui pas du tout. Il collait un riff de guitares sur le mien et il n'y avait plus qu'à monter les curseurs. Forcément, comme Peter Hook, il vampirise le son du groupe mais en fait ça marche. En écoutant, j'étais vraiment hyper fier de la tournure que le disque prenait. Parce que c'était à la fois ce que j'avais en tête avant, mais magnifié par son boulot à lui.
Pourquoi avoir choisi de raconter avec ce disque l'histoire de vos années lycée ?
Je ne me souviens plus vraiment de ce qui a déclenché l'idée de base, mais en gros le but c'était de raconter l'histoire d'un môme qui arrive dans un lycée des années 90 et qui trouve sa place dans les bandes de l'époque, les mods, les punks... toutes les bandes qu'on trouvait dans les cours de récré du temps où l'on allait au lycée avec Marie. Ce qui est drôle, c'est que certains titres du disque se sont mis à sonner comme la musique de l'époque – au lycée mon frangin écoutait New Order toute la journée. Après on a scénarisé le disque comme on avait pu le faire pour Malamore ou Costa Blanca. J'aime bien l'idée de pouvoir travailler sur une histoire même si elle est blindée de références qui ne parlent qu'à mes proches. Mais c'est aussi un peu l'histoire de tout le monde, parce que ce sont des années importantes dans une vie. Elles sont à la base de tout ce qu'on aime et comme avec Marie on n'a jamais bougé de la région, les gens dont on parle, on est encore avec eux aujourd'hui.
Qu'est-ce que ça désigne, Shadow People ?
Dans la mythologie anglo-saxonne, c'est cette espèce de présence que l'on sent derrière soi et qui disparaît quand on tourne la tête. On ne sait pas trop si c'est un fantôme ou une entité d'une autre dimension. Il y a pas mal de films fantastiques autour de ça, mais c'est quelque chose qu'on ne connaît pas vraiment en France. L'idée, c'est que tous ces gens qui étaient là avec nous, tous ces dogmes qu'on a respectés à l'époque, tout l'apprentissage de la musique, tout ça ne nous a jamais réellement quitté. C'était une manière de donner un nom à ce phénomène-là.
On peut penser aussi que c'est une manière d'évoquer les multiples influences qui hantent le groupe – musique de films, pop underground des années 60, psychédélisme, yé-yé, krautrock –, si nombreuses qu'on se demande si The Limiñanas, c'est encore du garage...
Je pense que ça n'en est plus. On n'a jamais eu l'intention d'être un groupe revival ou vintage. J'assume vraiment d'aimer à la fois New Order, les Cult, les Cramps, Nick Cave et de faire des chansons sans me poser de question sur la direction à prendre ou le dogme à respecter. C'était important quand j'étais ado mais ça ne m'intéresse plus du tout. Effectivement, la musique qui prend le plus de place chez nous ça reste le garage punk des années 60, la musique primitive 60's. Mais musicalement, aujourd'hui, je ne sais pas où on peut nous ranger.
The Limiñanas
À l'Épicerie Moderne le samedi 24 mars