Luna / De passage en quasi voisine aux Rencontres du Sud d'Avignon, la Montpelliéraine Elsa Diringer a présenté son premier long-métrage, "Luna". Le portrait d'une jeunesse bouillonnante qu'elle a su approcher, voire apprivoiser. En douceur.
Comment en êtes-vous venue à la réalisation ?
Elsa Diringer : Un peu par hasard. Au départ, je ne voulais pas du tout faire de cinéma. J'ai rencontré un copain dans une salle d'escalade qui m'a emmené sur un tournage et à l'époque, comme j'étais un peu perdue, je me suis dis « bah voilà, je vais faire ça. » Mais je ne savais pas encore exactement quoi. Je me suis inscrite à la fac et je me suis dit qu'il fallait apprendre un métier technique pour gagner ma vie. J'ai découvert la perche et j'ai bien aimé, parce que c'était physique. Ensuite, j'ai fait de l'assistanat, ce qui m'a permis de fréquenter de chouettes plateaux comme ceux de Nicole Garcia, René Féret ou Alain Resnais à la fin. En même temps, j'ai écrit des courts-métrages qui ont été plus ou moins financés. Au bout d'un moment, je me suis dis « arrête de te raconter que tu vas être perchman parce que ce n'est pas vrai, ce n'est pas un métier pour toi. » Et j'ai commencé à écrire mon long-métrage. Mais c'était assez tard. Vers 27 ans.
Qu'est-ce qui a déterminé le choix du sujet ?
Cela a été un processus complexe, d'agrégation d'idées et de choses, comme le souvenir d'une amie d'enfance qui m'avait beaucoup marquée. Je voulais m'en servir pour créer le personnage de Luna, avec cette force, cette énergie de vie et en même temps un certain aveuglement par rapport à l'amour. Parallèlement, en faisant des courts-métrages durant l'année de l'écriture dans une classe de 4e d'un collège de l'Est parisien, j'ai été confrontée à un phénomène assez étonnant de harcèlement : celui d'une fille chahutée par toute la classe. Individuellement, tous les élèves étaient adorables mais en groupe, ils étaient vraiment affreux. Tout cela s'est mélangé : Luna et ce phénomène de violence de groupe.
Vous êtes-vous inspirée d'un fait divers ?
Un fait divers m'avait marqué : un petit jeune avait donné un coup à une fille à la sortie d'un collège dans le Sud ; elle en était morte. Comment deux vies peuvent être brisées comme ça, pour une histoire de rivalité de groupes ; comment tout peut basculer sur des bêtises ?
Pourquoi avoir choisi Montpellier ?
Parce que j'y ai passé ma jeunesse entre 8 et 18 ans. J'avais envie de tourner là pour des histoires de lumières, d'ambiances. C'est plus facile d'écrire quand on a les lieux en tête : on s'inspire d'endroits où l'on est passé. Je suis plus inspirée par le Sud que par la vie parisienne pour le moment !
Luna est autant un portrait de personnages à la bordure des âges que de territoires à la limite entre campagne et le centre-ville. Comment la géographie de vos décors s'est-elle imposée ?
Je voulais vraiment que ça se passe à la frontière entre la ville et la campagne : j'avais ce paysage en tête, ayant grandi dans une de ces zones périurbaines mélangeant vignes, routes d'entrepôts...Par rapport au film, ce décor avait du sens : Luna est un personnage encore en friche, qui doit se construire, et donc pour moi le décor racontait quelque chose d'encore fragile, de pas encore tout à fait en place.
Votre film constitue un inhabituel rape and revenge, dans la mesure où il adopte le point de vue de la coupable qui, de surcroît est une femme. Vous l'aviez conçu dans cette optique ?
Je voulais poser la question du mal sans que cette question ne soit polluée par une trop forte interprétation sociologique : je pense que la violence peut aussi venir d'une femme, de n'importe quel milieu. Je voulais brouiller les cartes pour qu'on n'ait pas une lecture trop facile des choses. Et je trouvais intéressant qu'on se dise : c'est une fille, mais elle a fait quelque chose d'horrible.
Comment avez-vous abordé la séquence de viol ?
C'était une scène un peu lourde, qui nous faisait très peur. J'ai pas mal travaillé en amont : ce n'est pas vraiment facile de demander ça à des jeunes n'ayant jamais fait de théâtre. On a répété, on a tourné. Mais au montage, je n'étais pas contente du résultat parce que j'avais été un peu timide dans ma manière de filmer. Il n'y avait pas assez de violence dans le démarrage ; du coup, le film ne tenait pas. Comme il y a un jeune qui filme avec son téléphone, on a fait un plan téléphone portable. Cela permettait de résoudre le problème de distance : la question, au fond, c'est comment filmer une telle chose sans être voyeur ; passer par le téléphone permet d'être du point de vue du groupe, d'un point de vue pornographique.
Ce tournage a-t-il été pour vous un apprentissage ?
Beaucoup de gens m'observaient — on est beaucoup observée quand on est réalisatrice. Au fur et à mesure du tournage, ils me disaient : « ah, c'est bien tu as pris confiance en toi. » Moi qui hésite beaucoup et qui me laisse un peu influencer, à la fin je prenais mieux mes décisions. Cela se voit dans le film.
Luna a-t-il été difficile à monter ?
Pas vraiment difficile, mais long à écrire. Mais c'est en lien avec le financement : la clé du financement d'un premier film, c'est le CNC. Donc il faut l'avoir. Et tant qu'on l'a pas, on réécrit. On a fini par l'avoir au bout de trois tentatives. Ensuite, on avait des contraintes de temps, donc on a mis les bouchées doubles pour trouver la comédienne principale. Ma productrice a été formidable parce qu'elle a secoué tout le monde pour qu'on ait l'argent à temps. D'autres écrivent vite et cherchent plus lentement l'argent ; nous ça a été l'inverse.