Miou-Miou : « L'époque est à l'autocensure »

Larguées
De Eloïse Lang (Fr, 1h35) avec Miou-Miou, Camille Cottin...

Larguées / La moindre des choses, quand on a eu 18 ans en 1968, est d’entretenir vivace l’impertinence de l’esprit. Miou-Miou ne s’est jamais conformée aux règles. Ce n’est pas aujourd’hui qu’elle va commencer. Entretien à l’occasion de la sortie de "Larguée" d’Éloïse Lang.

Eloïse Lang affirme que vous êtes d’une liberté totale. C’est la liberté de Françoise, le personnage qu’elle vous a offert, qui vous a décidée à accepter le film ?
Miou-Miou :
Alors non ce n’est pas que pour ça ; c’est l’ensemble : l’histoire, l’écriture… Il y a des phrases que je n’avais jamais entendues, des tirades lapidaires, formidables, vraiment superbes. Et je me suis aperçue en lisant le scénario et en voyant le film que je pratiquais, moi, une autocensure inconsciente.

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De quelle nature ?
Si j’avais fait un film, je n’aurais pas mis de la drogue, des clopes, du rhum, de la baise… Des trucs libres et naturels, finalement. C’est là que je me suis rendue compte que je pratiquais une autocensure inhérente à l’époque, aux réactions incroyables, aux interdictions, aux choses procédurières… Sans m’en rendre compte, inconsciemment, comme nous tous, j’ai l’impression. C’est dans le sens où : pas fumer, pas boire, toutes ces choses où on se dit que ça va être interdit au moins de 12 ans, etc. Toutes ces choses qu’elle a mis avec fluidité, et c’est là où je me suis rendue compte que moi, je n’aurais jamais osé.

Les temps ont changé. Par exemple, au moment du Mariage pour tous, on a vu des gens qui défilaient contre ce droit…

Je n’ai jamais compris pourquoi des gens défilaient contre quelque chose qui ne leur enlevait rien. Enfin c’était surtout la déferlante de régression, de haine, je pensais que c’était terminé. Ce qui me frappe dans l’époque, c’est vraiment d’un côté l’avancée extraordinaire des technologies, et de l’autre côté une régression avec des esclaves, des guerres de religions, de la haine… Le grand écart entre cette immense régression et cet immense progrès me sidère.… Je ne sais pas ce qu’on a foutu.

Quel aspect du caractère de Françoise avez-vous le plus apprécié ?
J’ai adoré la dépression agressive du début. Oh que c’était bon ! Et ça tombait bien parce que cela s’est tourné après les séquences à La Réunion, et qu’on a eu une grosse redescente. C’est une sorte de méchante, à la mauvaise foi totale, qui ne veut rien trouver de bien, et qui se vautre dans sa dépression. J’ai inventé dans ma tête qu’elle attendait un texto du père de ses filles — c’est quand même lui qui est parti. Ce n’est pas dans le film, mais j’imaginais qu’elle n’avait pas très envie de quitter Paris. Alors, quand elle voit le texto, c’est plié : elle comprend qu’elle ne le reverra plus jamais.

Avez-vous ressenti une quelconque appréhension liée au fait que vous vous retrouviez face à trois jeunes femmes dans un film aussi générationnel ?
D’habitude, c’est aux Camille que l’on demande : « vous n’avez pas été impressionnée de tourner avec Miou-Miou », donc je suis contente enfin qu’on me pose la question ! Je dois dire qu’elles ont toutes une énorme énergie.

La Chamoux, elle est pratique. Elle est comme la nature : elle déteste le vide. Donc, elle parle énormément, elle comble les vides constamment et elle s’auto-analyse — son spectacle c’est ça, et c’est formidable. Elle crée des situations et en même temps elle s’analyse sur la réaction qu’elle a eu à cette situation ; c’est à mourir de rire. Cottin, elle est beaucoup plus imprévisible. Elle a un jeu inattendu : un truc de sourcil, une petite mimique, quelque chose qui peut partir d’un coup et fait tout passer en une seconde. Elles sont très différentes et très intéressantes. Elles ont été choisies les premières, mais après il fallait choisir la mère… Et je suis contente que ça ait été moi. Est-ce que c’est lié au fait que j’ai deux sœurs et deux filles ? Ce sont de grandes travailleuses — Eloïse aussi — et sur ce tournage, on travaillait les scènes ; on cherchait, on trouvait, on coupait… Il y avait une sorte d’émulation : à celle qui trouverait le truc le plus efficace. C’était très agréable comme partage ; un peu un travail de théâtre, en fait.

En étant sur une île en vase-clos, vous étiez condamnées à vous entendre…
Entre le volcan en éruption et les requins, il valait mieux bien s’entendre, en effet ! Surtout qu’il y avait impossibilité de partir. D’habitude, les bagnes sont construits sur des îles ; or il n’y en avait même pas à La Réunion ! (rires) On avait un collectif soudé. J’ai appris après le tournage qu’Eloïse avait eu quelques états d’âme, mais on n’en a jamais rien su. Connaissant la nature humaine, si on les avait vus, on se serait tous engouffrés dans des querelles.

Cette émulation dont vous parliez, c’est elle qui vous a inspiré cette séquence de douche plutôt osée ?
Au départ, mon personnage devait être dans la baignoire, mais ça ne me suffisait pas. Alors, qu’est ce qu’on pouvait faire de plus suggestif ? S’approcher d’un miroir ? Moi, je ne voulais pas qu’on me voit nue et Eloïse ça ne l’intéressait pas du tout. Donc j’ai cherché… Et j’ai eu cette idée, que j’ai essayé de vendre — et je l’ai bien vendue ! J’ai profité que nous étions dans le bar d’un club en plein air et je me me suis mise les jambes à l’air, tête en bas, en disant : « Regarde ! Comme ça, on ne voit rien » Et voilà ! (rires). C’est vrai qu’on est tellement flattée quand une idée est acceptée. Après, ça me fait rire quand on me dit : « Oh, comment vous avez pu accepter la scène de la douche ? » (rires).

Quels films retenez-vous de votre filmographie ?
D’une manière un peu égoïste, ceux qui ont marché, parce que ça me fait extrêmement plaisir. Les Valseuses, La femme flic, La Dérobade, La Lectrice qui était un vrai régal, ça déboulait, mais j’aime aussi les films plus rares comme Jonas qui aura 25 ans en l'an 2000, les premiers films comme Josepha de Christopher Frank, Nettoyage à sec que j’avais trouvé très réussi, Coup de foudre… Tous ils ont une aventure spéciale ! Quand ils ont plu, on se sent l’ego un peu rempli ; on est content, c’est un beau voyage…

Les regardez-vous ?
Figurez-vous que ça ne me viendrait même pas à l’idée…

Et si vous tombez dessus par accident ?
Ça va. Je suis très critique envers moi et ça me ferait beaucoup souffrir. En même temps, je suis assez gentille. Je me suis promise devant des photos ou des coiffures de ne pas avoir honte : c’était mes cartes, c’était comme ça.

Comment vous abordez-vous la vieillesse ?
Je suis assez à l’aise, si je vois tout ce qui a poussé... Faut être à sa place : je n’ai pas de regrets. Déjà parce que cela ne sert à rien, et puis je veux dire j’en ai profité à fond les ballons. Comme dirait François Morel, « si la vie est une semaine », moi je me situe dans le week-end. En espérant que lundi soit férié ! Voilà !

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