Amoureux de ma femme / C'est sur les terres de sa jeunesse avignonnaise, lors des Rencontres du Sud, que le réalisateur et cinéaste Daniel Auteuil est venu évoquer son nouvel opus, Amoureux de ma femme. Le temps d'une rêve-party...
Le scénario est adapté d'une pièce de Florent Zeller que vous avez jouée. Y a-t-il beaucoup de différences ?
Daniel Auteuil : Ah oui, il est très très librement adapté ! On a beaucoup parlé : je lui ai raconté à partir de la pièce de quel genre d'histoire j'avais envie. Je voulais parler des pauvres, pauvres, pauvres hommes (rires), et de leurs rêves, qui sont à la hauteur de ce qu'ils sont. Certains ont de grands rêves, d'autres en ont des plus petits. Et puis il y avait l'expérience de cette pièce, qui était très drôle et qui touchait beaucoup les gens. Mon personnage est un homme qui rêve, plus qu'il n'a de fantasmes. Un homme qui, au fond, n'a pas tout à fait la vie qu'il voudrait avoir, peut-être ; qui s'identifie dans la vie des autres.
Le cinéma vous permettait-il davantage de fantaisie ?
La pièce était en un lieu unique et était très axée sur le verbe, sur le texte. Une grande partie était sur les pensés, les apartés. Ici, c'est construit comme un film : le point de départ était cette idée de rêve et tout ce qu'on pouvait montrer. Que les rêves, ressemblent à la réalité du film et que peu à peu les spectateurs ne sachent plus s'ils étaient dans la vraie vie ou dans le rêve... L'idée qu'ils puissent se perdre.
On a l'impression que vous essayez de nous perdre...
Oui c'est ça, c'était le but. De vous prendre par la main, et puis de vous lâcher. Le montage a été important mais techniquement, j'ai utilisé des plans séquences dans le film. J'aime bien cette idée de faire jouer les gens le plus longtemps possible, en les suivant avec la caméra, en m'approchant, en faisant des gros plans... J'ai aimé ce rythme là. J'ai inversé quelques parties de rêves pour les avancer, les déplacer un peu. C'est à la fois un film rythmé, serré, mais qui laisse le temps aux acteurs de jouer.
Votre personnage use de nombreuses stratégies pour annoncer une vérité dérangeante à son épouse...
Alors j'ai joué plusieurs rôles comme ça dans ma vie. J'ai joué un menteur qui finit mal : c'est L'Adversaire. Depuis ce rôle-là, je n'ai plus jamais menti de ma vie. Jean-Claude Romand — je ne sais pas s'il est sorti de prison ou pas — est un des rôles les plus difficiles que j'ai eus à jouer. Je n'ai joué que son incapacité à affronter la réalité, alors qu'il avait la capacité de devenir tout ce qu'il a rêvé. Le jour de son examen par exemple...
C'est un rôle qui vous a vraiment marqué...
Oui c'est un rôle, mais aussi quelqu'un qui existe, qui fait sa vie, qui la refait. C'est pour moi quintessence de la tragédie la plus terrible. Par incapacité de soi-même, de se réaliser, on détruit les autres. C'est horrible. Mais bon...
Vous semblez vouloir affirmer une différence marquée entre rêve et le fantasme...
Oui, j'insiste. Mon personnage est un rêveur plus que quelqu'un qui fantasme. Il n'a pas besoin de fantasmer plus que ça, mais cela dit la barrière entre rêve et fantasme, elle est ténue. Mon personnage est d'avantage un poète rêveur envieux de la vie des autres que quelqu'un qui est dans le fantasme. Rêver sa vie, c'est un peu comme mener une rechercher poétique ; c'est une façon de la fuir. Et fantasmer, c'est prendre un chemin pour aller accomplir quelque chose, c'est un but. C'est ça, la différence.
Vous êtes-vous nourri du cinéma d'autres réalisateur ayant déjà exploré ces frontières ?
Parmi mes références, j'ai beaucoup eu Cet obscur objet du désir de Buñuel (mais en version légère), Almodovar, aussi. J'aime également le cinéma de Renoir, sa façon de filmer les gens dans les mouvements. Ou Le Magnifique, quand Bébel est romancier et qu'il invente sa vie... Il n'est pas dans le fantasme, il est dans le rêve. Il est emporté par son rêve — et moi aussi d'ailleurs. Mais il a beaucoup de chance parce qu'il a tellement d'imagination, il vit tellement tout jusqu'au drame.... Il me fait de la peine, quand même, parce que il est tellement content de ne pas avoir fait ce qui est arrivé...
Le rôle d'un acteur, finalement, n'est-ce pas de rêver ?
Toujours, toujours... C'est une vie aussi rêvée : ce tournage, ce film, ces rencontres... Un tournage c'est une bulle, c'est un moment privilégié où bien sur j'ai des responsabilités. Mais j'ai réussi à être léger sur ce film. Je me parle beaucoup à moi-même maintenant, et effectivement je l'ai rêvé ce film. Pour faire un film aujourd'hui, il faut se battre. C'est compliqué. Et au fond, c'est l'atterrissage du rêve qui se fait en douceur avec vous. D'avoir imaginé des choses et de voir que ça a pénétré un peu. C'est Sautet qui me disait : « écoute, l'amour c'est un rêve, c'est un songe, alors, quitte à que ce soit un songe, autant que ça le reste et que ça se termine bien. »
C'était toujours compliqué de faire un film, même quand on s'appelle Daniel Auteuil et qu'on a Gérard Depardieu avec soi ?
Aujourd'hui c'est plus difficile, oui. Parce que y en a beaucoup. On l'a fait, ce n'est pas la question. Mais c'est compliqué.
Et être réalisateur, est ce que c'est être encore plus rêveur ?
Il faut rêver à tout !
Vous continuez à rêver toujours ?
Oui, tout le temps. Et c'est épuisant.
Quand vous arrêtez-vous de rêver ?
Je crois que c'est le jour où je vais arrêter de boire, de manger, de respirer.
Quel rêve n'avez-vous pas encore réalisé ?
Il y en a pleins, sûrement. Mais je dois dire, puisqu'il faut être raisonnable, je citerais Diderot quand il dit : « encore 30 ou 40 ans de cette vie imparfaite et c'est parfait ».