Selon Baudelaire, « la plus belle des ruses du diable est de vous persuader qu'il n'existe pas ». Le Malin possède, entre mille vices, un autre redoutable talent : celui de jouer de sa perverse séduction pour parvenir à ses fins, et triompher des plus purs esprits, fussent-ils angéliques. Voyez le palmarès 40e festival de Cannes en 1987 : la Palme d'Or a échu au méphistophélique Maurice Pialat et à son infernale adaptation de Bernanos, Sous le soleil de Satan, condamnant, non à la Géhenne mais au seul Prix de la mise en scène le bienveillant Wim Wenders pour son chef-d'œuvre séraphique Les Ailes du désir. Où les protagonistes sont des anges, confidents secrets des humains, privés d'amours terrestres et arpentant pour l'éternité des jours le sol et le ciel d'un Berlin alors divisé par le Mur.
Au-delà de l'histoire sentimentale conduisant Damiel, l'un de ces veilleurs immortels à fendre l'armure pour les beaux yeux d'une trapéziste ; au-delà de la vision prophétique de la capitale allemande, embrassée dans sa totalité deux ans avant la Réunification ; au-delà de splendeur poétique du récit coécrit par Handke, de la perfection formelle de l'image d'Alekan magicien du noir et blanc comme de la couleur, de la pertinence de la bande originale composée par le fidèle Knieper et amendée de contributions de Nick Cave, Minimal Compact, Laurie Anderson, Crime and The City Solution ; au-delà de l'interprétation de l'irremplaçable Bruno Ganz et des regrettés Peter Falk et Solveig Dommartin, ce film marquant le sommet de la carrière pourtant riche et féconde de Wenders, transcende le cinéma pour se cristalliser en moment de grâce absolu. À ce titre, et pour le bonheur qu'il procure, il mérite d'être revu et de figurer dans toute cinémathèque idéale. Ce serait bien le diable si vous manquiez cette projection.
Les Ailes du Désir
À l'UGC Confluence jeudi 17 à 19h55 et à l'UGC Astoria jeudi 17 à 19h