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Un peu, pas du tout et avec de bonnes chaussures : "Plaire, aimer et courir vite"
Par Vincent Raymond
Publié Lundi 14 mai 2018
Photo : © Jean-Louis Fernandez / LFP- Les Films Pelléas - Gaumont - France 3
Pour raconter ses jeunes années entre Rennes et Paris, quand le sida faisait rage, Christophe Honoré use de la fiction. Et les spectateurs, avec un pensum dépourvu de cette grâce parfois maladroite qui faisait le charme de ses comédies musicales. En compétition Cannes 2018.
Paris, 1993. Écrivain dans la radieuse trentaine, célibataire avec un enfant, Jacques a connu beaucoup de garçons. Mais de ses relations passées, il a contracté le virus du sida. Lors d’une visite à Rennes, il fait la connaissance d’Arthur, un jeune étudiant à son goût. Et c’est réciproque…
Il faudrait être d’une formidable mauvaise foi pour taxer Christophe Honoré d’opportunisme parce qu’il situe son nouveau film dans les années 1990 à Paris — ces années de l’hécatombe pour la communauté homosexuelle, ravagée par le sida —, quelques mois après le triomphe de 120 battements par minute. Car Plaire, aimer et courir vite s’inscrit dans la cohérence de sa filmographie, dans le sillage de Non, ma fille tu n’iras pas danser (2009) pour l’inspiration bretonne et autobiographique et des Chansons d’amour (2007) ou d’Homme au bain (2010) pour la représentation d’étreintes masculines.
L’ego lasse
Cela dit, les images de Campillo étant encore fraîches en mémoire et rémanentes sur la rétine, il s’avère difficile d’empêcher la pensée de s’y référer devant cette (longue) succession de séquences ne se doublant, elle, d’aucun mémorial militant ni d’aucune velléité lyrique. Plaire, aimer et courir vite recèle bien sa part de tragédie, mais qu’elle paraît incidente et pour tout dire artificielle ! Comme réduite à une pièce rapportée, charriée par un personnage secondaire qu’on aurait ajouté in extremis, histoire de ne pas donner l’impression de tourner en boucle autour de nombrils insatisfaits. Certes, Arthur, le transposé d’Honoré dans la fiction, n’occupe pas le centre de l’intrigue, puisque celui-ci est dévolu à Jacques. Seulement Jacques, en écrivain mûr accompli et père homo décomplexé fait figure de translaté contemporain du cinéaste, auquel Pierre Deladonchamps ressemble d’ailleurs étrangement. Un de ses personnages aurait bien mérité de s’appeler Narcisse !
Si les egos sont satisfaits, le dialogue par moments trop verbeux — le développement théorique sur la catégorisation des amants est-il un hommage à Eustache, Godard, Rivette et Truffaut à la fois ? —, d’autres aspects du film laissent interrogatif. Comme l’incapacité à représenter la nudité masculine dans l’acte amoureux en déterminant la limite entre l’esthétique et l’érotique. Ici, ni l’une, ni l’autre de ces deux options n’est retenue. Le regard est froid, ni voyeur, ni complice ; on ne le soupçonne pas d’être animé par un quelconque désir pour les corps en présence. Dès lors, comment pourrait-il les rendre désirables, et par conséquent, transférer cette qualité au film ? On récolte ce que l’on sème, et beaucoup moins quand on s’aime soi-même.
Plaire, aimer et courir vite de Christophe Honoré avec Vincent Lacoste, Pierre Deladonchamps, Denis Podalydès…
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