Irène Jacob, la voix sereine

Irène Jacob, la voix sereine
VxH - La Voix humaine

ENSATT

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Portrait / Le visage de trois quart de profil en gros plan, devant Jean-Louis Trintignant. Rouge. Le film de Kieślowski, avec La Double vie de Véronique, va révéler la comédienne Irène Jacob dans les années 90. Depuis, elle tourne dans le monde entier, chante et sera La Voix humaine de Cocteau en novembre.

D'elle, il nous parvient des flashs apaisants : son visage (qui n'a guère changé depuis les films du cinéaste polonais mythique) et sa voix qui décline les questions de Cosmopolitan en susurrant à l'oreille de Vincent Delerm « avez-vous déjà fait souffrir votre partenaire ? » ou nous informe que « c'est une période difficile pour les natives du deuxième décan ». Elle est aussi « une fille Deutsche Grammophon » sur l'album Kensington square. Et Jean-Luc Le Ténia lui a même consacré une chanson à son nom.

Iconique. Osons le mot qu'elle ne peut s'attribuer. Il y a de cela chez Irène Jacob, mais une icône accessible que l'on voudrait toutefois ne pas trop chahuter pour respecter ce travail mené depuis plus de vingt avec exigence et humilité.

Tracer sa voix (humaine)

D'emblée, elle rencontre des hommes de cinéma reconnus pour leur rigueur. C'est Louis Malle qui met le pied à l'étrier de cette fille de physicien et psychologue, la quatrième fille, après trois garçons qui sont les aînés. Irène Jacob a d'abord appris la musique. Qu'à cela ne tienne, le réalisateur du Feu Follet l'embauche comme pianiste dans Au-revoir les enfants. Elle a alors 21 ans.

Si ses parents ne sont pas artistes de métier, ils se montrent sensibles à la culture. Enfant, sa mère l'a emmenée à un concert de musique classique pour qu'elle choisisse un instrument à apprendre ; son père « savait dire des textes, il avait ce plaisir, il écrivait facilement en alexandrins pour des occasions particulières ». Mais le théâtre aura sa préférence. Elle fréquente des groupes amateurs, le conservatoire et le cours Florent, fait son éducation en la matière en lisant, sur les conseils de l'actrice Sophie Desmarets, les classiques de Molière et Musset et découvre « un univers qui [lui] parle, celui de Tchekhov ».

Pourtant, le septième art s'impose. En 1991, sort La Double vie de Véronique qui lui vaut à 25 ans le prix d'interprétation féminine à Cannes. Elle est deux jeunes filles en Pologne et en France qui vivent des destins en écho, la mort de l'une entraînant la tristesse de l'autre sans qu'elles ne connaissent leur existence respective. Krzysztof Kieślowski vient d'en finir avec son Décalogue et il livre un film moins austère mais tout aussi intriguant. Suivra Rouge en 1994, dernier volet de Trois Couleurs et ultime long-métrage du Varsovien décédé prématurément deux ans plus tard à 54 ans.

Ces films la lestent d'un cinéma intense et de « rôles de femmes très intéressants, avec une intériorité, loin du Sois belle et tais-toi » que fustige Delphine Seyrig et qu'Irène Jacob vient de présenter avec bonheur le matin même de notre entretien au Festival Lumière. Le travail qu'elle fait avec Kieślowski n'est pas lourd à porter, même s'il reste extrêmement prégnant dans sa carrière. Elle s'amuse de voir à quel point le cinéaste est encore aujourd'hui apprécié par de très jeunes auteurs avec qui elle a tourné depuis, y compris des séries (The Affair ou OA, prochainement sur Netflix).

Elle a bien une idée de la clé de cette reconnaissance au long cours : « dans sa façon de tourner en Pologne, rappelle-t-elle, avec la censure, il était obligé de montrer seulement une partie et il aimait bien l'idée d'être main dans la main avec le public, de lui laisser finir la phrase ; ses films ont une interprétation disponible qui fait que chacun y met, selon son époque, ou sa réalité au Japon ou au Brésil, des sens complètement différents et qui leur appartiennent. Les jeunes se sentent tout à fait à l'aise avec ce cinéma. » C'est avec bonheur qu'elle se prête partout au jeu des rétrospectives.

Au bout du téléphone il y a sa voix

Suivront une kyrielle d'autres films dont le Rio sex comedy de Jonathan Nossiter en 2011 et bientôt, en janvier le nouvel opus de l'un de "nos" meilleurs cinéastes de comédies douces-amères (avec Pierre Salvadori) : Pascal Thomas pour À cause des filles... et des garçons !?

En parallèle, elle mène une carrière continue sur les planches, sous la houlette de Philippe Calvario (La Mouette), Irina Brook, Patrice Leconte (Je l'aimais d'Anna Gavalda) ou encore de son époux acteur et metteur en scène Jérôme Kircher. À chaque fois, elle garde comme viatique le goût de la précision transmis par Kieślowski « pour que le mystère arrive », pour que le contact opère. « C'est plus qu'un divertissement » dit-elle de cet art. Il s'agit de rencontre. Elle a bien, elle, « eu l'impression [d'] avoir un ami qui ne [la] connaissait pas en la personne de Romain Gary » dont elle admire profondément l'œuvre. « Les films qu'on aime deviennent comme des frères et sœurs » dit-elle encore, plaçant son admiration sur le registre de la tendresse, miroir aussi de celle que lui a témoigné Vincent Delerm ou même ceux qui animent ce site iconoclaste d'adulation, irenejacob.net.

Récemment, c'est de Cocteau dont elle s'est nourrie en travaillant sur La Voix humaine. Elle a lu ses écrits pour comprendre ce qu'il dit quand il écrit « j'ai voulu être folle et vivre un amour fou ».

« Son père s'est suicidé d'une balle de revolver quand il avait neuf ans, sa pièce convoque une peur de l'abandon très forte » dit-elle ; et ainsi, de mieux pouvoir interpréter cette femme pendue au combiné alors que son amant la quitte. Seules ses paroles à elle nous parviennent. Et pour nous le faire entendre au mieux, le metteur en scène (et ancien directeur du Théâtre de la Renaissance d'Oullins), Roland Auzet, a imaginé un dispositif original : Irène Jacob évolue sur un plexiglas au-dessus de nos têtes posées à même le sol. Il avait déjà eu précédemment l'idée marquante de laisser se perdre Audrey Bonnet et Anne Alvaro dans le centre commercial de la Part-Dieu désert le soir pour une version féminine de Dans la solitude des champs de coton. Seuls des casques nous ramenaient à elles lorsque leurs silhouettes s'éloignaient trop...

Le travail sur la voix est assuré par l'IRCAM, mais Irène Jacob sait parfaitement jouer de cet organe puisqu'elle a déjà signé avec son frère new-yorkais deux albums (Je sais nager, en 2011 et En bas de chez moi, en 2016). Ces concerts qui distordent le temps l'amusent. « Quelques répétitions et hop les musiciens sont sur scène, ça m'a beaucoup apporté » dit celle qui sort tout juste d'un spectacle de Duras mis en scène par Katie Mitchell et s'apprête à être dirigée par Thomas Ostermeier pour la version française de Retour à Reims. Elle qui déclarait cet été dans Le Monde, que sa chanson d'amour préférée était Message personnel de Françoise Hardy ne lâche plus le téléphone puisque, pour l'heure, elle est en novembre dans la pièce de Cocteau où tout passe par ce média.

« Quand on choisi de faire du théâtre, on ne sait pas encore tout ce qu'on va rencontrer. Donc on le fait. Et en faisant, tout d'un coup, on découvre des affinités ». Voici les siennes.

La Voix humaine
À l'ENSATT du 9 au 22 novembre


Irène Jacob en 6 dates

1966 : Naissance

1991 : Prix d'interprétation féminine à Cannes pour La Double vie de Véronique

1994 : Trois Couleurs. Rouge

2008 : La Poussière du vent de Theo Angelopoulos

2016 : The Affair (saison 3)

2018 : La Voix humaine, ms Roland Auzet

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