Thomas Szabo & Hélène Giraud : « il y a une loi intrinsèque à l'univers de Minuscules »

Minuscule 2 - Les Mandibules du Bout du Monde
De Thomas Szabo, Hélène Giraud (Fr, 1h30) animation

Minuscules 2 / Tout, tout, tout, vous saurez tout sur le film qui conjugue entomologie et épopée en saluant Spielberg et Walt Disney. Il se murmure même qu’un troisième volet de "Minuscules" est en préparation. Conversation avec les deux auteurs de la série et des deux films…

D’où vient votre passion pour les insectes ?
Thomas Szabo : On habitait à la campagne tous les deux. Tout vient de notre plaisir d’observation, qu’on a voulu faire perdurer.

à lire aussi : Minuscules majuscules au Musée des Confluences

Le premier volet cinématographique était-il conçu pour être unique, ou l’idée du serial flottait déjà puisque Minuscules a commencé par une série ?
TS
: Comme un film unique. Évidemment, vu le succès et la mode de faire des suites, de fil en aiguille on nous a demandé d'en faire une ; on l’a faite. Et maintenant que c’est devenu une habitude, on a mis un petit easter egg final de manière à ce que ce soit simple pour une éventuelle suite — pour Retour vers le futur, comme ils n’avaient pas prévu de suite et qu’ils avaient une chute géniale, ils se sont arraché les cheveux pour coller à ce que raconte le personnage à la fin.

Quant au le premier Minuscules, il avait été initié par le fait que la série avait eu beaucoup de succès : c'est toujours le succès qui lance. Mais il nous importait de se différencier de la narration de la série : ce sont deux choses différentes, même si c’est le même univers et les mêmes personnages. Dans la première, on a de petits contes, de petits haïkus japonais, alors que sur le long-métrage, on suit une aventure, une odyssée qui se développe en trois actes, avec des arcs narratifs plus classiques. Minuscules 2 est construit de la même manière.

Mais dans Minuscules 2, l’empreinte humaine est plus forte et les insectes davantage en réaction aux humains. Comme s’il y avait une réaction de la nature, incarnée par les insectes, à l’action humaine…
TS
: C’était une volonté. On s’est dit qu’on allait pousser un peu plus le curseur et que les deux univers s’interpénètreraient plus. L’autre aspect, c’était développer les personnages : ils ont une évolution, ils sont plus caractérisés dans leur personnalité que sur le premier. Mais comme ils ne parlent pas et n’ont quasiment aucune expression, on bute sur le moyen de faire passer les idées. C’est un exercice qui existe depuis le cinéma muet, on est en train d’apprendre les bases.

La bande-son est cependant très riche…
TS
: Dès le début de la série. Sauf que la musique intervenait à la fin des épisodes, comme un exercice de décompression pour nous sortir de l’univers avec un morceau classique. Sur le long-métrage, comme on va dans une odyssée en trois actes un peu plus classique, on intègre la musique comme un élément de narration, ce qui se fait beaucoup au cinéma et depuis Prokofiev, je crois. La musique est une ligne de scénario en plus : elle n’est pas là pour habiller, mais pour raconter quelque chose. J’ai souvent fait l’exercice d’enlever la musique : il manque des choses.

Pour les bruitages, c’est pareil. Certains racontent des choses, en off, qu’on ne voit pas à l’image. On peut ajouter de la foudre par exemple. De toutes façons, le son a toujours été très présent dans cet univers parce que les personnages sont très peu expressifs. Du coup tout passe dans les bruitages. J’adore le son !

Pourquoi le choix de la Guadeloupe ?
TS
: Hélène et moi avions eu l’idée d’y tourner la saison 2, parce qu’on y va assez régulièrement en vacances — de la même manière que la saison 1 avait été faite en Normandie et dans le sud de la France parce que j’ai habité dans le sud et qu’on avait une maison en Normandie. On connaissait les lieux, c’était pratique pour les repérages : on s’imaginait les plages, les crabes. Sauf que ça ne s’est pas fait, on l’a rangé dans des tiroirs et ressorti pour le film. Cela permettait de se renouveler tout en restant dans l’univers. C’est la difficulté quand on fait les suites : garder ce qui a plu tout en proposant quelque chose de nouveau. Et il y a une dynamique, on sort du Mercantour.

Comment procédez-vous pour les images en prises de vues réelles ?
Hélène Giraud :
On part en répérage avec les story-board sous le bras et on cherche les décors. Un pré-repérage est fait par quelqu’un avec des photos, et après c’est une enquête : on cherche les lieux et on réinterprète le story board et le décor en fonction de ce qu’on ne trouve pas.

Y a-t-il des arthropodes dont les caractéristiques zoologiques réelles vous ont inspiré des gags spécifiques ?
TS
: L’araignée sauteuse rousse, et sa danse nuptiale sur sa toile : c’est un truc qu’on voit sur Internet. La coccinelle qui rattrape l’avion, ça rejoint l’idée que les fourmis peuvent porter 500 fois leur poids. Si on allait aussi vite qu’une coccinelle, on pourrait rattraper un Boeing, c’est ce qu’on met dans le film, avec un décalage. En plus, la coccinelle, c’est l’insecte auquel on peut s’identifier le plus facilement : elle a une couleur sympa, elle a l’air mignonne même quand on la regarde de très près — tandis que les fourmis, c’est assez atroce. La fourmi est travailleuse, la coccinelle est aventurière, les mouches en groupe, c’est des idiots qui ne réfléchissent pas… On retrouve des stéréotypes. On n’invente pas complètement tout : notre vision n’est pas trop réaliste ni très juste du monde. Il y a une licence poétique.

HG : On se base sur des éléments réels, mais on les adapte pour inventer nos histoires. Cela reste de l’imaginaire (rires).

Vous fixez-vous une limite entre le réalisme et la fantaisie ?
HG
: Thomas et moi avons notre curseur interne. C’est comme s’il y avait une sorte de loi intrinsèque à l’univers de Minuscules. On sait qu’à un moment donné, il y a des choses à ne pas franchir — c’est difficile à expliquer. Jusqu’à une certaine ligne, on sait que ça fonctionne, on sait qu’on est dans la logique de Minuscules ; on le ressent en nous, c’est très bizarre. Et ça s’est affiné au fur et à mesure de la série.

Certains animaux sont investis ici d’une image plus positive que celle qu’elles véhiculent ordinairement, comme le cafard…
TS :
Cela date de la série. Ça nous plaisait beaucoup pour le cafard, parce qu’on aime bien être à contre-courant de ce que l’on pense des insectes. Il a des gens qui hurlent parce qu’ils voient un cafard… En réaction, on montre un cafard qui va aider la coccinelle à attraper son avion. L’araignée rousse, on croit voir un monstre, quand on la voit de près, c’est un nounours… sans perdre de vue qu’elle va jouer un peu et qu’elle va les manger après (rires).

Quid des autres êtres vivants ?
TS
: On ne voit que des détails des êtres humains, comme dans les Tom et Jerry. Dans le premier, il y avait des humains au début, on pensait ne montrer que des nuques comme dans la série. Et puis on s’est dit : on a le format, on aère, on est obligé de montrer des visages.

Vous avez justement des comédiens reconnus comme Thierry Frémont ou Bruno Salomone. D’ailleurs, c’est du vice de donner à ce dernier un rôle muet alors qu’il est très connu pour et par sa voix…
TS
: Mon truc, c’est pas l’animation : depuis toujours j’ai envie de faire des films avec des acteurs. C’est pour cela qu’il y a plus d’humains. On s’est dit que ce serait marrant de mettre des caméos très courts de gens plus ou moins reconnaissables. Thierry, je le connais depuis longtemps, il a un sens du timing, comme Bruno — qui est un acteur très corporel et physique. Ils n’ont pas besoin de faire grand chose pour être parfaits, comme on est dans le registre muet. Ce sont des caméléons, ils sont capables de se transformer. La prochaine fois on aura Depardieu (rires).

On relève des clins d’œil poussés à l’univers de Spielberg comme à celui de Disney.
TS
: Ce n’était pas forcément une volonté, mais certains nous amusent — même s’il me semble qu’il y en avait plus dans le premier film. Spielberg, ça me flatte beaucoup : j’en ai tellement bouffé que ça ressort. La dimension épique du rouleau de scotch, comme le rocher poursuivant Indiana Jones. On digère des choses qu’on a adorées : Moby Dick, Pinocchio, Les Dents de la Mer, E.T.… Ce sont des références qui sont venues toutes seules en faisant le film. La mante religieuse qui rappelle Kaa, je pense que c’est inconscient et qu’en le faisant, on se dit c’est Le Livre de la Jungle et on pousse le truc ; comme la chenille qui rappelle celle d’Alice au pays des merveilles… Il y en a peut-être d’autres.

Les Aventures du baron de Münchhausen ? Dreamworks pour la lune et les ballons ?
TS :
Semi-inconscient. Paradoxalement, plus Dreamworks que Là-haut, car je ne l’ai jamais vu.

Qu’est-ce qui a changé techniquement entre la série, le premier film et celui-ci ?
TS
: Plus de décors, de déplacements, de personnages… C’était surtout ça, les enjeux. Sinon, c’est la même recette de fabrication. C’est surtout la vitesse de calcul qui a évolué. Mais c’est proportionnel : on demande aussi plus de rendu. Les rendus sont maintenant plus beaux qu’avant, les images de synthèse vieillissent moins vite. Le premier Minuscules a été tourné en relief avec deux caméras énormes, celui-ci en 2D et on a fait le relief en post-production par conversion, j’étais inquiet mais ça s’est fait assez vite et le résultat n’est pas trop mal.

HG : Le niveau de qualité pour la série, c’est un épisode par semaine. Pour le long-métrage, on se permet de faire des roughs ; la scène de la tempête, on n’aurait jamais pu se permettre de faire ça dans la série : on a mis six mois à la faire, à générer les nuages, la pluie… Sur le premier, on avait un quart en image de synthèse, ici c’est un tiers, cela induit des coûts. On a travaillé sur un logiciel qui s’appelle Guerilla, qui avait été utilisé pour Vaiana et qu’on n’avait pas pu avoir pour le premier. Il permet de faire des choses assez extraordinaires sur les transparences et les textures — notamment pour la mante religieuse ou les chenilles à la fin.

Le film est français, mais avec un coproducteur chinois.
TS
: Il était présent sur le premier film. Il a distribué le long, ça a très bien marché en Chine et il avaient très très envie de participer plus activement au 2. Ils ont participé financièrement dès le début, sur ce film fabriqué 100% en France.

HG : Dans le film, on peut voir quelques objets chinois dans l’épicerie. On était obligés, ils en avaient besoin pour obtenir les autorisations en Chine de montrer qu’il y avait un pourcentage d’éléments chinois.

La fin laisse supposer que Minuscules 3 se déroulera en Chine…
TS
: C’est le principe des easter eggs, ces trucs qui donnent des indices à la fin du générique sur ce qui va y avoir après. On ne sait pas encore, on va déjà se reposer, on va chercher l’inspiration.

HG : On a passé quinze jours là-bas, on a traversé la Chine pour faire le repérage avant d’écrire le scénario. On a vu là-bas une forêt de bambous, il faut absolument faire une séquence qui s’y passe. Ils nous avaient dit : « vous avez le Mercantour, mais nous on l’a aussi ». En fait, c’est dix fois le Mercantour ! Et cela engendre des idées…

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Mardi 4 décembre 2018 Semaine faste au Comœdia qui enchaîne les venues d’équipes (et donc les avant-premières). C’est tout d’abord Thomas Szabo, coréalisateur du nouvel opus (...)

Suivez la guide !

Clubbing, expos, cinéma, humour, théâtre, danse, littérature, fripes, famille… abonne toi pour recevoir une fois par semaine les conseils sorties de la rédac’ !

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X