Valeria Bruni Tedeschi : « on est tous plein de blessures et de chagrins »

Les Estivants
De Valeria Bruni Tedeschi (Fr, 2h08) avec Valeria Bruni Tedeschi, Pierre Arditi...

Les Estivants / Autour de leur partenaire et réalisatrice Valeria Bruni Tedeschi, Pierre Arditi et Valeria Golino évoquent leur travail sur "Les Estivants", et de la manière dont la fiction télescope la réalité (et réciproquement) depuis le mouvement #MeToo…

Avez-vous eu les mêmes difficultés à convaincre la Commission d’avance sur recettes de financer votre film que votre personnage au début des Estivants ?
Valeria Bruni Tedeschi :
Elle n’a pas beaucoup de mal à monter son film, puisqu’elle le tourne à la fin — c’est génial avec une scène aussi catastrophique. En tout cas, je trouve que je n’ai pas trop de mal. Je fais des films avec pas trop d’argent : celui-là a coûté trois millions d’euros, avec des acteurs peu payés, et très peu de jours de tournage, sept semaines. Je ne suis pas contre le fait que ça soit un peu difficile de faire le film ; après ça serait bien d’avoir un tout petit peu plus de moyens…

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Dans cette séquence, les membres de la commission parlent des similitudes entre vos films. Les ressentez-vous ?
VBT :
(rires) J’ai l’impression que je conte toujours un peu la même chose, mais ce n’est pas grave ! J’aime bien donner la parole aux gens qui me critiquent en me disant que c’est toujours la même chose ; à ceux qui me disent des choses un peu désagréables ; du coup ça devient drôle. Mais on travaille toujours avec ses obsessions. En tout cas, moi, j’ai l’impression qu’elles sont récurrentes : l’amour, le temps qui passe, la solitude, les rêves… Parfois, ça change, ça se transforme. Pour moi, ce n’est pas du tout le même film, mais je comprends qu’on le pense.

S’agit-il d’autoficition ?
VBT :
Le terme ne me convient pas. On m’a parlé “d’autobiographie imaginaire“ et j’ai trouvé ça intéressant : ce sont deux mots qui ne vont tellement pas ensemble que leur collision réveille, on ne comprends plus rien. Et j’aime ça. Quand je dirige les acteurs, je les mets dans cette situation : « tu vas vite et lentement ». Tout d’un coup, ça fait une collision mentale qui réveille…

Qu’est-ce que cela fait d’être incorporé dans "l’autobiographie imaginaire" de votre partenaire, à la fois actrice et réalisatrice ?
Pierre Arditi
: Resnais disait qu’il y avait deux formes : la petite et la grande. L’acteur est responsable de la petite, le metteur en scène de la grande. Le metteur en scène, c’est elle. Donc je ne peux parler que du petit compartiment qui m’est réservé et qu’elle m’aide à remplir. Pour le reste, c’est elle qui voit ce qui fait partie de sa vie et ce qui s’en échappe.

C’est son autobiographie, pas la mienne. Je suis intégré dans un scénario avec ce que Valeria y met de personnel : une part de fiction et une part inspirée visiblement d’un certain réel qui est le sien. Mon métier est d’incarner cette partie qui m’est réservée, sans me préoccuper de savoir ce que je saurais de son existence à elle.

Le premier matériau d’un acteur, c’est la vie. Et la sienne, elle la met en scène en partie, pas complètement — le terme “autobiographie imaginaire“, c’est pas mal effectivement. Je me sers de moi depuis à peu près cinquante ans ; je passe ma vie à jouer des morceaux de moi que je mets au service d’un autre qu’on me demande d’incarner et dont j’ignorerais tout — ce qui est totalement faux puisque d’une certaine manière, contrairement à ce qu’on pourrait penser, tous autant que nous sommes nous contenons des milliers de facettes tout à fait personnelles qu’on nous paye (plus ou moins cher) pour mettre en exergue, alors que la majeure partie de mes congénères s’ingénie à les enfouir pour ne pas savoir qu’ils les contiennent.

Je me suis intéressé à la caractérologie de celui qu’on m’a demandé d’incarner — et qui est un cousin germain de ce que je peux être parfois, soit pour la mauvaise foi, soit dans quelque chose qui peut ne pas être sympathique. Ce n’est pas “Machin“ [le mari de la sœur de Valeria Bruni Tedeschi, NdlR], c’est ce que j’imagine de ce que Valeria me demande d’incarner, et qu’elle dirige de main de maître, sans avoir à y toucher pour me guider, là où elle a envie qu’elle aille, et là où elle espère que j’aille.

Vous parlez de choses dont le cinéma français parle peu : la vieillesse et la sexualité d’une femme mûre…
VBT
: C’est étrange, je ne comprends pas pourquoi ce n’est pas intéressant parce que moi, ça me passionne. Et puis il y a une vraie beauté à tout âge. J’ai co-réalisé un documentaire sur des gens qui ont Alzheimer dans un hôpital : il y avait des visages absolument magnifiques, j’ai eu un énorme plaisir, en me sentant dans le même bateau. Apparemment, le cinéma préfère la jeunesse. Là, j’avais envie d’autre chose que d’une femme de trente ans.

Comment travaillez vous entre co-scénaristes ? C’est un dialogue ?
VBT :
Oui, souvent j’écris des scènes ; Agnès et Noémie me donnent des retours. Après, je travaille souvent avec ou l’une, ou l’autre… Oh, je ne sais pas, c’est bizarre. Je sais qu’on travaille ensemble…

La maison est un personnage à part entière, avec sa répartition haute/basse, celle des maîtres et celle des serviteurs. Aviez-vous à l’esprit La Règle du jeu de Renoir parmi vos références ?
VBT :
Évidemment, on l’a vu et revu. Après, il faut être à la fois insolent, modeste, libre et se dire que l’un des plus grands chefs-d’œuvres du cinéma s’est servi d’une même toile de fond ; cela n’empêche qu’on va faire notre film.

Il faut tuer ses idoles, comme Tchekhov ou Gorki dont est tirée la pièce homonyme avec des gens en vacances dans une propriété, et dont la première scène montre des employés parlant des propriétaires qui vont arriver. Elle impose tout de suite la présence primordiale des gens qui travaillent dans la maison.

Mais on a fait nos Estivants à nous, en regardant l’érotisme entre les rapports de classe, ce qu’il se passe entre un cuisinier et une scénariste : est-ce que leur histoire d’amour a un futur, est-ce que le désir va être entravé par deux conditions différentes…

Lors d’une scène de repas, vous évoquez un traumatisme d’enfance de votre personnage : des attouchements que la mère n’a jamais considéré comme un viol. Cela prend une résonance particulière avec le mouvement #MeToo…
VBT
: On est tous plein de blessures et de chagrins… Je n’ai pas été influencée par #MeToo ; c’est tous les étés qu’on en parle, c’est l’un des sujets du 1er août… De très bonne foi, la mère dit que ce n’est pas vraiment un viol, mais seulement un doigt. Vraiment, elle pense que ce n’est pas si grave… Ce n’était pas de l’indifférence de la part des parents, mais de l’ignorance. Ils ne se rendaient pas compte du désastre que provoque un attouchement chez un enfant.

Je ferais une différence entre #MeToo et la pédophilie. Si on me parle de n’importe quel épisode pédophile, je perds immédiatement la tête. #MeToo, c’est autre chose. C’est intéressant, ça a libéré la parole de femmes qui ne font pas du cinéma, dans plein d’autres métiers dans le monde entier. Ça a été historiquement un mouvement très important, mais personnellement — peut-être parce que quand j’étais jeune je n’ai travaillé qu’avec des homosexuels — je ne me sens pas totalement désespérée quand je pense à une actrice qui monte dans une suite au Ritz. Je me dis si elle veut, elle peut aussi ne pas monter. Je me sens incorrecte quand je dis ça.

Valeria Golino​ : #MeToo, c’est aussi être payée la même chose que les hommes, c’est une évidence que c’est plus facile à légaliser. Quant aux choses sexuelles, il est difficile de comprendre qui a eu tort. Chaque cas est différent. Mais d’autres choses sont structurelles.

PA : #MeToo avait plutôt une connotation sexuelle. Sur le conflit social, que les femmes soient moins payées que les hommes, cela continue d’être insupportable, inexplicable, intolérable… #MeToo, ça tape sur d’autres choses dont on peut discuter.

VBT : Une chose me tient à cœur : c’est absolument honteux comment nous tous, le monde ne rend pas hommage à Woody Allen en ce moment. À cause de #MeToo. Si un jour il meurt, on va avoir très, très honte de nous. Alors que c’est quelqu’un qui nous a tellement accompagnés toute notre existence. Une fois par an, j’allais le mercredi à 14h voir ses films — c’est vraiment des médicaments. Là, on dirait qu’on ne peut rien faire pour changer une situation pour moi inacceptable.

PA : On avait gueulé Emmanuelle Devos et moi il y a quelque mois là-dessus. C’est pas possible d’être traité comme ça. À un moment, le politiquement correct devient très incorrect. C’est un monde dans lequel je ne peux pas vivre, je suis trop vieux, ça doit être pour ça : j’ai vécu dans un monde plus libre, plus intelligent, plus imaginatif. Je ne peux pas…

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