Restaurant / On jurerait un énième coffee shop, ou concept de street food. En fait : de belles assiettes, qui convoquent le soleil en avance.
On a coutume de dire que les cuisines méditerranéennes se sont construites autour de trois éléments de base : le raisin, qu'on transforma en vin, l'olive, en huile et le blé, en pain. À quoi pouvait bien ressembler ce dernier il y a cinq mille ans quand les Égyptiens apprenaient tout juste à maîtriser le levain ? A priori, plus à une galette qu'à une baguette. C'est ce que laissent penser les miches en forme de soleil que les archéologues ont pu excaver, mais aussi la persistance du pain plat dans la cuisine du Proche-orient et autour. Le naan plus à l'Est et la pita plus à l'Ouest sont certainement de lointains descendants des pains premiers : l'un est fabriqué avec un levain de lait et cuit sur les parois d'un tandoor, comme on le faisait depuis longtemps dans le croissant fertile ; l'autre intègre de la levure et est cuite à plat, comme l'avaient expérimenté les anciens grecs. La pită/pitta/pitka/pide/khubz/ʿaish, en bref la galette levée de blé - à la fois roumaine, juive, bulgare, turque et arabe, entre autres - a fait du chemin depuis la Méditerranée. Le pain plat a conquis les rues du monde entier, surtout depuis qu'il sert de base à ces best-sellers mondiaux que sont la focaccia devenue pizza, le gyros ou le döner kebab.
Reste à savoir comment manger tout ça
Quand Marion Guillain et Alissa Guevara ont décidé, pour leur premier restaurant, de rendre hommage aux cuisines méditerrannéennes, qu'ont-elles fait ? Elles ont placé une pita au centre de l'assiette. Ça se passe à La Grenade, dans le 1er arrondissement, dans l'ancien local du Café Arsène. Les deux anciennes salariées de Konditori ont refait elles-mêmes la déco, gardant l'imposant comptoir central, pariant sur le bleu et blanc, comme une île grecque, meublant simplement, et illuminant le tout de trois grand miroirs verticaux. La déco, à la fois soignée et minimaliste, et la clientèle majoritairement féminine, peut faire craindre une cuisine plus conceptuelle que roborative, plus healthy que goûteuse.
Pourtant, derrière le tutoiement et les effets d'annonce (« C'est un sandwich réinventé ! »), on trouve de vraies assiettes piochant allégrement dans le pourtour méditerranéen : souvlaki (les brochettes grecques), salmorejo (le concurrent du gaspacho), labneh maison (fromage frais libanais), zaalouk (caviar d'aubergine marocain), etc. Alissa, d'origine tunisienne et espagnole, rend hommage à la famille, « moins par des recettes, mais par une façon de faire, à l'instinct, et dans la recherche des goûts de l'enfance. »
Ce qui donnait, un midi et pour nous : en plus d'une surprenante soupe grecque au citron et sumac, le fameux pain pita (élaboré à Saint-Étienne par une cuisinière tunisienne selon la recette de la cheffe), garni d'un joyeux tas de carottes au cumin, pois chiche frits au zaatar, graines germées et roquette, brocolis rôtis et fenouil au citron confit. Et pour parachever le tout, un magnifique pavé de thon, tout tendre car confit, au ras el hanout (ou un gravlax de canard, ou le labneh aux fruits secs). Reste à savoir comment manger tout ça... Avec les mains (le carnage !), ou des couverts (l'hérésie !) ? Les deux taulières promettent, avant l'été, sans toucher à ces drôles d'assiettes, de véritables sandwichs et plus de choses à partager. Notamment pour accompagner, le soir venu, un excellent verre d'Un Litro nature du domaine Foradori (5€), ou une eau de coco (4, 50€ la pinte).
La Grenade
5 rue du Garet, Lyon 1er
Midi comme soir : 7, 50€ l'assiette, 12, 50€ la formule, 14, 50€ avec dessert
De midi à 14h (sauf lundi) et de 19h30 à 22h. Fermé le dimanche