Olivier Maurin : rencontre du 1er type

Ovni

Théâtre La Mouche

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Portrait / En courant dormez, Illusions... Deux bijoux théâtraux de ses dernières années portés par Olivier Maurin et sa troupe fidèle d'acteurs. À l'heure de créer OVNI à la Mouche, portrait de ce metteur en scène délicat qui travaille patiemment. Prenons le temps avec lui.

Son travail est un souffle, on en voit presque le cœur battre. Les mots sont tranchants, définitifs ou murmurés, évaporés. Parfois même ce sont des onomatopées. Avec Oriza Hirata puis Ivan Viripaev, Olivier Maurin a trouvé il y a déjà une dizaine d’années une écriture qui lui ressemble : discrète mais pas effacée. Une façon d’être au monde sans éclaboussure mais avec une place bien singulière.

Avant cette « rencontre » – ce mot banal balise son parcours de façon déterminante et notre conversation – il a cheminé longuement en passant par l’Iris et la Renaissance, aux portes de Lyon où il naît en 1965 dans une famille sans artistes mais amatrice de danses de salon et curieuse. Grandissant ensuite à Villeurbanne, à deux pas du TNP, c’est presque par commodité qu’il y voit ses premiers spectacles, après la grande époque Chéreau mais avec les premiers Jérôme Deschamps, L’Oiseau vert de Benno Besson ou le Richard III de Lavaudant.

Il fait suivre son bac scientifique par un DUT électrotechnique « qui ne [lui] servira jamais ». Trop d’ennui le conduit à un stage de théâtre puis au Conservatoire de Lyon. Cette fois-ci, comme bien souvent, il dit « rencontrer les bonnes personnes au bon moment ». Encore faut-il être capable de s’en saisir. Son prof, Philippe Clément, l’embarque dans la construction du Théâtre de l’Iris… qui fête ses trente ans cette saison. « On bossait comme des dingues, se souvient Olivier Maurin : des cours et du plâtre ». L’occasion d’éprouver le collectif, « une façon de vivre ensemble sans que ce soit une communauté ». En 1990, peu à l’aise comme acteur, il décide de ne plus jouer et monte aux Clochards Célestes une adaptation des Enfants terribles de Cocteau.

Elle se nommera Lhoré Dana

Cette aventure l’oblige à créer sa compagnie qui de 1990 à 2000 se nommera Lhoré Dana. Point de sens caché, juste un prénom italien scindé en deux mais surtout une sonorité agréable qui préside aussi au choix du mot d'Ostinato, véritable terme musical pour le coup, nom depuis 2011 de sa seconde compagnie, qui dans un premier temps a porté son nom et son prénom. Mais « ça ne me correspondait pas. J’avais honte de dire ce nom tant le travail ne se fait pas seul ». Dans les années Lang qui voient la création de lieux de métropole (Saint-Fons, Feyzin...), il sera de l’équipe de Laurent Darceuil pendant sept ans à la Renaissance où ils ont défriché ensemble ce territoire avec un travail en salle comme en appartements et des textes d’auteurs contemporains. Dont TOC ! de Daniil Harms, avec lequel la reconnaissance nationale arrive via un très bon retour tant public que professionnel ; des articles d’une presse régionale alors en plein âge d’or, révolu depuis (Le Monde Rhône-Alpes, Libé Lyon…) l'emmènent à Paris et partout en France, notamment au Merlan à Marseille, à l'Aire Libre à Rennes.... « Ce fut un spectacle très dur à "sortir" mais il n’est pas le résultat d’un hasard, même si je le découvre presque lors de sa première. »

Maurin dira la même chose de Illusions des années plus tard. Humble face à son objet, il ne le sous-estime pas. Le théâtre se mature de façon souterraine, avec de nombreuses lectures et notes qui souvent s’évanouissent au moment du passage à l’acte sur le plateau. Mais rien de ce qui a précédé n’est inutile. De l'écume des pistes avortées, se dessinent ses mises en scènes. Cette aventure oullinoise, qui s’achève avec le changement de direction, marque la fin d’une époque où il porte la compagnie et il n’est pas mécontent de répondre à des commandes plus légères. Celle de Claire Lasne-Darcueil, actuellement à la tête du Conservatoire National de Paris, à l’époque directrice du CDN de Poitiers, ou de la Comédie de Valence menée par Philippe Delaigue où Maurin trimbale un texte de Sylvain Levet en itinérance.

Surtout, Delaigue le fait entrer à l’ENSATT dans le département acteur qu’il dirige. Depuis 2009, Olivier Maurin y donne des cours et dit avoir l’impression de faire un véritable métier, puisque désormais il le transmet et s’en délecte avec plus de 300 heures par an au compteur. Dans cette même décennie, en 2004, il prend la direction de la Maison du Théâtre de Jasseron (dans l’Ain) et multiplie les stages et accompagnements en milieu rural. Deux spectacles moyennement satisfaisants, accomplis en résidence au théâtre de Bourg-en-Bresse, clôturent un cycle : « mais j’étais très tranquille avec ça » dit-il sans amertume, lui qui confie ne s’être jamais senti maltraité par la profession. Bien au contraire.

Ostinato

À l’ENSATT il rencontre la langue d’Hirata via Nouvelles du plateau S, le "renouveau" de sa pratique théâtrale car il dirige notamment Mickael Pinelli. L’acteur le suivra dans En courant, dormez, délicatesse entre deux amants anarchistes du Japon des années 20. Maurin délaisse son attrait pour Edward Bond. Son désir a changé : « je découvre avec Hirata et Viripaev un théâtre qui laisse place à la douceur. Ce n’est pas défaitiste de ne pas montrer comment le monde va mal. Ce n’est pas se cacher. On peut choisir de faire grandir ce qui est déjà là et c’est un acte politique aussi fort que la dénonciation. Des spectateurs m'ont dit une très belle chose à propos de Illusions : ce qui est révolutionnaire est comment les protagonistes s’écoutent. Le monde est le reflet de ce qu’on est intérieurement. Le théâtre travaille aussi sur ce reflet intérieur, on ne peut agir que là-dessus, par capillarité. Ces auteurs-là m’ont appris ça. »

Après En courant, dormez – créé avec son propre argent à l'Élysée en 2013, repris au TNP deux ans plus tard, il cherche un texte dialogué à nouveau, mais c’est Ivan Viripaev qui s'impose avec ses longues tirades et ses phrases coupantes. De vieilles personnes amies, amoureuses relèvent leurs attirances et émotions profondes dans Illusions.

OVNI qu’il monte cette semaine à La Mouche, où il est en résidence jusqu’en 2020, est une suite de monologues excessivement intimes : « je n’ai jamais entendu une parole qui ouvre autant de choses en moi. Comment est-ce qu’on choisit d’aller dans le monde ? Qu’est-ce qu’on sent comme écho à l’intérieur de nous et qu’on laisse se diffuser ? Ici cela se fait par une rencontre avec des extra-terrestres. Il y a tout ce qu’on vit et une autre réalité, c’est celle-là qui nous guide, nous fait être ce qu’on est. Il est question de mystère, de quelque chose d’agissant en nous et si on le laisse faire, c’est magnifique » poursuit ce père de deux grands enfants.

À son rythme, Olivier Maurin s’est inventé une autre famille de théâtre permettant à ses acteurs et actrices (Clémentine Allain, Fanny Chiressi...) d’être des orfèvres. Ils seront encore à l’œuvre la saison prochaine au TNP où Jean-Pierre Jourdain a souhaité les voir travailler un classique, Don Juan en l’occurrence dont Maurin dit ne pas très bien savoir encore comment il s’en saisira. Mais le processus de maturation est solidement en route.

Passé par Ramdam dans les années 2000, il s'est plu à participer à cette « nouvelle façon de penser un lieu artistiquement toujours dans le mouvement, dans les questions d’accueil et d’hospitalité », à le « faire vivre alors qu’on est tous dans nos propres pratiques ; c’est une question en même temps humaine et politique ». Le théâtre est bien affaire de collectif. Heureux de vivre depuis trente ans de ce métier, il constate le « moins d'argent mais plus de légèreté » qu'à l'époque de Lohré Dana où ils étaient dix au plateau tout en se méfiant hautement de ce discours car « c'est avec cette fausse idée que chacun est son entrepreneur et que soi-disant le thatchérisme aurait donné une vitalité au cinéma britannique ! ».

Rivé au bord de scène, il se concentre sur la direction d'acteurs pour que les mots des auteurs d’aujourd’hui continuent à nous parvenir. Son metteur en scène fétiche se nomme Tiago Rodrigues (directeur du théâtre national de Lisbonne). Une de ses dernières créations se nomme Sopro... « souffle » en portugais.

OVNI
À La Mouche (Saint-Genis-Laval) du mercredi 20 au samedi 23 mars à 20h30

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